J’aime le cinéma anglais et, par-dessus tout, j’aime les comédies anglaises. C’est un fait. Il se dégage toujours un petit quelque chose, un humour si particulier, qu’elles versent dans le polar, l’horreur, le romantisme ou le film social. Et ça remonte à longtemps puisque je me souviens encore dans les années 90, à l’époque des vidéos clubs, il suffisait qu’un film soit estampillé Royaume Uni pour que je le loue à la jaquette, sans même savoir de quoi ça parle, juste pour le plaisir de me marrer, soit avec leur humour noir, soit avec leur humour « so british ». Et c’est lors d’une de ces locations à la jaquette que je découvris Fish and Chips, un film qui ne vous parlera sans doute pas tant il est passé inaperçu à l’époque mais qui pourtant a été présenté au Festival de Cannes 1999 et a remporté le prix Alexander Korda du meilleur film britannique aux BAFTA Awards, ainsi que celui du meilleur film comique aux British Comedy Awards. Après l’avoir revu récemment, j’ai eu envie de vous en parler, car c’est une très bonne bobine.


Fish and Chips, premier film de Damien O’Connell, prend pour thématique la migration des Pakistanais en Grande Bretagne dans les années 70, tout ce que cela a engendré comme racisme du côté des communautés blanches et, par voie de conséquence, les difficultés d’intégration pour cette nouvelle population pakistanaise. Dit comme ça, on pourrait se demander où est l’aspect comédie de la chose. Mais c’est en ça que nos amis anglais sont très forts, rendre fun un sujet pas du tout sexy sur le papier. Si si, souvenez-vous, ils l’ont déjà fait à de multiples reprises, comme avec le film Pride (2014) qui avait pris pour thématique la fermeture des mines en Angleterre sous l’ère Thatcher. Le scénario de Fish and Chips est inspiré de la pièce de théâtre à succès du scénariste Ayub Khan-Din, sortie en 1996, elle-même inspirée de la propre vie de ce dernier. Fish and Chips nous raconte les malheurs d’une famille anglo-pakistanaise au bord du gouffre dans le Salford du début des années 70. George Khan, père de famille très ancré dans les traditions de son pays d’origine, est choqué lorsque son fils ainé s’enfuit de son mariage arrangé, et décide que dorénavant, sa famille sera plus respectueuse de ses traditions. Parmi ses futurs projets figurent le mariage de deux de ses autres fils qui, lorsqu’ils vont l’apprendre, ne vont guère être enchantés par l’idée. Ella, la femme de George, anglaise pure souche, va se retrouver à cheval entre le traditionalisme de son mari et la tendance à la rébellion de ses enfants, tout en essayant de garder sa propre dignité, surtout envers des voisins qui ne voient pas d’un très bon œil cette famille bruyante en encombrante de « pakis » venus piquer le pain des anglais.


Damien O’Donnell et Ayub Khan-Din vont traiter le sujet difficile des différents styles de vie des britanniques et des pakistanais sans prendre parti ni pour l’un ni pour l’autre. Ils vont utiliser des préjugés sur les deux cultures et les transformer en scènes amusantes dont tout le monde peut rire. Ainsi, ils vont arriver à créer un vrai bon équilibre entre comédie et tragédie, rendu possible grâce au talent du casting. Linda Bassett est vraiment géniale dans le rôle d’épouse qui a le cul entre deux chaises, et les acteurs qui interprètent les enfants sont vraiment bons, tout particulièrement le tout jeune Jordan Routledge. Cependant, c’est l’excellent Om Puri (Wolf, L’Ombre et la Proie) qui tire son épingle du jeu dans le rôle assez complexe du père qui essaie désespérément de s’accrocher aux traditions qu’il interprète avec une réelle conviction. La relation entre le mari et sa femme est assez complexe, avec toutes les difficultés que représente leur union à l’époque, où le choc des traditions vient se confronter au plaisir que leur procure la compagnie de l’autre. Le père ne nous est pas présenté comme un être inflexible et déraisonnable, et pourtant il finit par s’en prendre physiquement à sa femme et même aux enfants. C’est un personnage complexe, tout comme celui de la mère et des enfants qui ont tous leurs problèmes, à différents niveaux. C’est cette ambiguïté des personnages qui va les rendre crédibles et surtout attachants. On s’identifie à eux, on souffre avec eux, on rit avec eux, on se demande ce qu’on aurait fait dans leur situation.


Le duo Damien O’Donnell / Ayub Khan-Din ne succombe jamais à la facilité et va éviter autant que possible les clichés. Lorsqu’il les expose, c’est pour en rire. Les confrontations entre les populations ne sont au final que peu présentes, essentiellement sous la forme de commentaires presque grotesques prononcés par un voisin désapprobateur de cette union. Les auteurs préfèrent se concentrer sur les « luttes » qui se déroulent au sein de cette famille qui ressemble à tant d’autres à travers le monde, afin que leur film reste à échelle humaine. La force de Fish and Chips est donc cet équilibre entre l’humour, générant parfois des scènes à mourir de rire (la réunion pré-mariage, certaines chamailleries entre les enfants), et des moments plus dramatiques (lorsque George s’acharne physiquement sur sa famille) malgré la légèreté ambiante qui règne 1h36 durant. Légèreté car malgré son fond social, le film est ponctué de moments juste délicieux, à l’instar de cette danse improbable exécutée par Archie Panjabi, à l’instar du tout jeune et attachant Jordan Routledge qui refuse de retirer sa parka sale, à l’instar de ses dialogues très bien écrits qui parcourent le film du début à la fin. Cet équilibre est souvent dur à atteindre et les anglais y arrivent souvent avec génie comme c’est le cas ici. Oui, cette tranche de vie de cette famille anglo-pakistanaise est une bien belle réussite et mérite d’être (re) découverte par le plus grand nombre.


Fish and Chips est une comédie douce-amère sans prétention mais merveilleusement humaine et plus profonde qu’il n’y parait. Avec son casting parfait, son ambiance 70’s so kitch et son mélange comédie / drame bien dosé, c’est un met de choix.


Critique originale avec images et anecdotes : https://www.darksidereviews.com/film-fish-and-chips-de-damien-odonnell-1999/

cherycok
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le 4 mai 2022

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