Il y a dans Fitzcarraldo tout le rêve de l’homme. Le rêve de l’homme particulier bien sûr, celui de Brian Sweeney Fitzgerald (dit Fitzcarraldo, plus facile à prononcer pour les locaux brésiliens), pour qui toutes les forces de la vie, du rêve et de la civilisation (celle qui n’est pas encore morte, celle qui rêve encore de culture) tiennent dans l’œuvre d’art totale, le Gesamtkunstwerk wagnérien : l’opéra. il y a aussi le rêve de l’histoire, celle de l’humanité, celle de l’homme artisan, de l’homme technicien plein des forces qu’il s’est données à lui-même, qui en est las, et qui les dilapide sous forme de liasses de papier jetées aux poissons de bassins somptueux, ou lors de parties de poker où les joueurs éprouvent l’extase de perdre toutes leurs richesses. Face à cet homme l’homme naturel, l’homme mythologique, l’homme des sociétés primitives, qui attend que le salut vienne d’un divin vaisseau blanc qui délivrera l’Ucayali et le Pachitea d’une malédiction qui passe, du reste, assez vite au second plan, et qui constitue une ficelle narrative assez vulgaire et peu cohérente.
Pardonnons ce grossier ressort diégétique, cette machination, car il y a dans Fitzcarraldo tout le rêve de l’homme. Et le rêve prend, et nous emporte avec celui qui le rêve, Klaus Kinski le Magnifique, incarnant un Fitzcarraldo truculent et succulent de ressources, intellectuelles du moins, car, pour ce qui est des ressources matérielles, il lui faut compter sur sa maîtresse Molly (Claudia Cardinale), tenancière d’une maison de tolérance à Iquitos, amoureuse de son Fitz, le suivant physiquement ou symboliquement dans ses aventures et ses rêves opératiques, ainsi que sur les riches et mous barons du caoutchouc, contempteurs de la nature, contempteurs de l’art, créatures bâtardes s’il en est.
Le rêve prend, se noue, souvent échoue lamentablement pour d’autres fois brillamment réussir, il se noue à la rencontre du troisième homme, ni tout à fait technicien, ni tout à fait sauvage, il se noue là où Fitzcarraldo pose ses pieds et Werner Herzog ses yeux, il se fraye un chemin lent, aussi sinueux que l’Amazone, jusqu’au cœur du spectateur, incertain, rêveur lui aussi, jusqu’à la fin.