De brumes soufflées par des nasaux divins jaillit la végétation, comme un rêve se dissipe pour révéler la réalité ; l'opéra végétal peut débuter.
C'est l'histoire d'un rêveur. Ou plutôt deux. L'un construisant sa légende en racontant celle de l'autre.
Il y a Fitzcarraldo, cet Irlandais fou qui doit faire fortune pour construire un opéra au milieu de l'Amazonie et y faire chanter Caruso et il y a Werner Herzog, cet allemand ravagé sans pépètes, lui aussi, qui veut en faire un film impossible.
Deux rêveurs fiévreux qui construisent leurs tumultueuses histoires en parallèle. L'exubérance de l'immense forêt amazonienne écrasée par un homme forcément minuscule.
Kinski...
Après avoir envisagé Warren Oates, puis Jack Nicholson, commencé le tournage avec le duo Jason Robards/Mick Jagger qui, malade pour l'un, pris par des engagements genre tournée mondiale des Rolling Stones (genre...) pour l'autre, dut jeter l'éponge, Herzog choisit Klaus Kinski.
L'évidence Kinski...
Selon la légende, c'est à l'âge de 13 ans qu'Herzog rencontra Kinski pour la première fois. Emménageant avec sa mère dans une petite pension de famille, un des voisins de palier était le jeune acteur. Il terrorisait, déjà, tous les occupants. On a dit beaucoup sur la relation conflictuelle des deux hommes. Pourtant, il faut le dire, Kinski n'a jamais été aussi extraordinaire que sous l'oeil d'Herzog.
Putain de Kinski...
C'est drôle, moi-même, modestement, j'ai rencontré Kinski grosso modo au même âge. Pas en chair et en os, je te rassure, je ne serais plus là pour en jacter mais par le biais de "Crever pour Vivre", son autobiographie en grande partie mensongère qui traînait dans mes chiottes. Je crois que c'est là, en le lisant, que je me suis dit : "Tout compte fait, mon petit gars, t'es tout à fait normal". Tu vois un peu où peut se loger le curseur ?
Comme toujours, Klaus cannibalise le film, aussi calme que le volcan qui fait mine de roupiller, les yeux navigant dans une autre dimension. Elles roulent, ses billes, au-delà des eaux et flottent sur les cimes de cette canopée infinie.
D'un horizon sans frontières, mû par un idéal qui jamais ne vacille, le voyage hypnotise et lui, seul, comme Aguirre en son temps, semble voir un pays où les chevaux boivent du champagne, où les bateaux gravissent les montagnes, aux confins d'une odyssée qui révèle les vrais hommes.
Et puis, je le dis à chaque fois que je la vois, Claudia Cardinale a rarement été aussi belle.
Je dois être amoureux.