Cette histoire complexe de vengeance, avec une narration éclatée, elliptique, comptant nombre de flashbacks et flashforwards, développant méthodiquement en toile de fond un discours social critique, s'inscrit parfaitement à mes yeux d'amateur dans le cadre du cinéma japonais des années 60. J'aurais un peu de mal à argumenter, c'est assez instinctif, mais je trouve qu'il y a là quelque chose de très élégant qui convient très bien à cet écrin dans lequel le film se développe progressivement.
Flag in the Mist porte sur la quête obstinée de la protagoniste, Kiriko, une jeune femme d'une vingtaine d'années, désireuse de prouver l'innocence de son frère (la seule famille qu'elle ait) dans une affaire d'homicide. Elle parcourt plus d'un millier de kilomètres pour solliciter l'aide d'un avocat réputé, en lui précisant que son frère risque la peine de mort pour un crime qu'il n'a pas commis, mais l'avocat refusera le dossier, pour de nombreuses raisons plus ou moins valables (elle est pauvre et n'a pas l'argent pour ses émoluments, l'affaire a lieu à l'autre bout du Japon, il est déjà débordé). Un an plus tard, on apprend que le frère de Kiriko est mort en prison en appel.
Le contenu est annoncé très vite, et on ne peut que constater à quel point l'idéalisme de la jeune femme pauvre se fracasse contre le mur du cabinet du célèbre avocat, suite à son refus. Le grand intérêt d'un tel film porte sur l'évolution du portrait fait de cette femme, glissant entre le début et la fin du film d'une figure de douce fragilité à une figure de vengeance froide. Il faudra en passer par une série d'énormes coïncidences, donnant sur un plateau d'argent l'occasion à la femme de se venger de manière aussi efficace que fatale, comme un miroir (un peu trop) parfait tendu à celui qui ne l'avait pas écouté à l'époque — alors qu'on nous fait très bien comprendre qu'il aurait pu très facilement innocenter le frère. À titre personnel ces facilités d'écriture, bien que très visibles, ne m'ont pas vraiment gâché le visionnage : le scénario se sert de ces invraisemblances comme un tremplin pour quelque chose de beaucoup plus grand et ne constituent pas une fin scénaristique en soi.
La vengeance sera dure, froide, irrémédiable, et jusqu'au bout on pensera que Kiriko fera marche arrière et renoncera à son plan machiavélique. Mais non, elle ne lâchera pas l'occasion de venger la mort de son frère en punissant sèchement l'avocat et la femme qu'il aime, comme un instinct de survie soudainement activé. Le film se mue ainsi en un portrait de femme glacée et glaçante, alimentant à ce titre une tonalité de film néo-noir focalisé sur les inégalités sociales qui font correspondre deux types de justice, une pour les riches et une pour les pauvres, au creux d'antagonismes aussi variés que tragiques.
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