Bruno Dumont est un réalisateur à part dans le cinéma français. Avec un thème récurrent de la nature transformée par l'homme, il s'intéresse également beaucoup à l'humanité que celui-ci peut avoir ou non (d'ailleurs son second film s'appelait L'humanité). Malgré une filmographie très courte à l'heure actuelle, Dumont s'est déjà fait remarquer plusieurs fois et a même eu l'occasion de tourner un film aux Etats-Unis (TwentyNine palms). De plus, il fut également récompensé dans certains festivals et notamment Cannes où, avec Flandres, il remporta le Grand Prix du jury (L'humanité a connu le même sort).
Intéressons-nous désormais au film même. Comme son nom l'indique, le film a été tourné dans le Nord de la France (excepté pour les moments de guerre, le tournage a été effectué en Tunisie). Une région récurrente pour le cinéaste qui y a tourné presque l'ensemble de ses films. Dès le début, on sent aussi que l'oeuvre possède très peu de moyen. Dans la réalisation, ça se sent très fort. Il n'y a pas de scènes grandioses comme tous les films de guerre peuvent en apporter. Cependant, Dumont va compenser ce manquement en le transformant en une sorte de qualité pour que l'on ne s'intéresse pas trop à ça. De plus, Flandres ne possède aucune musique. Ca crée alors une ambiance très étrange, très bizarre. Mais cette absence concorde parfaitement avec le thème du film. Deux citations pourraient être reprises pour expliquer quelque peu l'oeuvre de Dumont. On peut prendre celle de Platon: "La musique donne une âme à nos coeurs et des ailes à nos pensées." Et également citer Emmanuel Kant: "La musique est la langue des émotions."
On comprend dès lors, en voyant le film, que si la musique était présente, cela ne concorderait pas avec le thème que Dumont propose. En effet, même en temps de paix, on a l'impression que ces humains ne possèdent aucune émotion, aucun sentiment. Il suffit de prendre l'exemple des deux amis d'enfance Barbe et Demester. La nature a une place très importante dans Flandres. Bruno Dumont l'explique de cette manière: "Quand on filme un paysage, il représente le climat intérieur du personnage. Je ne filme pas les Flandres, je filme l'intériorité du personnage. Quand vous avez un plan subjectif de Demester qui regarde le paysage devant sa ferme, on est à l'intérieur de Demester. Je ne filme pas les paysages comme un documentaire, je ne suis pas un cinéaste social, tout est mental et intérieur. Quand j'ai tourné La vie de Jésus, j'ai vidé la ville et les rues de Bailleul : j'ai enlevé les gens, j'ai enlevé les voitures, pour arriver à une sorte d'abstraction, j'ai besoin d'éliminer. Je passe mon temps à retirer mais je n'ajoute rien."
Une fois de plus, on rejoint le réalisateur. Il suffit de voir au tout début, après que Barbe et Demester ait fait l'amour, la première regarde le ciel et la nature et nous y voyons des arbres sans vie et un ciel gris. Plus tard, une scène de ce type se reprosuit, après la guerre, mais cette fois-ci les arbres sont verdoyants et le ciel est bleu. Il semble alors que l'homme ait regagné des sentiments, de l'émotion, de l'amour...
Mais Flandres, c'est avant tout un film de guerre. Dumont l'explique de la sorte: "Je n'ai pas cherché à faire quelque chose d'historiquement correct. L'exactitude des faits appartient au spectateur. Je me suis juste contenté d'un travail d'évocation, de suggestion. Ce qui m'importait, c'était de travailler sur le sentiment de la guerre, de porter un regard. A la télévision, on se lasse des images qu'il nous est donné à avoir de la guerre. J'ai chercher à régénérer l'horreur de la guerre."
En effet, le film ne cherche pas à suivre une guerre précise. Peu importe, ce n'est pas ça que le réalisateur veut à tout prix démontrer (bien que le choix d'un pays arabe peut laisser supposer un endroit connu de tous à l'heure actuelle). Non, il veut montrer que la guerre est bien plus terrible que ce que les médias nous présentent à la TV. Cette dernière ayant tendance à banaliser tout cela et à faire comme-ci c'était normal. Ainsi, Dumont va se concentrer sur tout ce qu'on oublie de montrer à la guerre. Les soldats se faisant tuer, une scène de viol et le sort réservé parfois à certains prisonniers. Le manque de moyen du film n'empêche pas que la seule scène de combat intense est extrêmement réaliste, au point même qu'elle laisserait pantois le plus grand fan de films de guerre. La scène de viol n'est pas aussi terrible que celle d'Irréversible. En effet, le réalisateur a la bonne initiative de placer à un moment donner sa caméra assez loin de la scène pour qu'on devine nettement plus qu'on ne voit. Et enfin, la scène de torture, le réalisateur suggère au début celle-ci. On n'entend que les cris de l'homme tandis que la caméra se concentre uniquement sur les autres prisonniers. On ne verra de la torture que le résultat.
Comme on peut le constater, Flandres n'est pas un film de guerre comme les autres. Très réaliste malgré son manque évident de moyen, il constitue également une suite logique dans le thème récurrent du réalisateur, à savoir le manque d'humanité que peut connaître l'homme. Et tel Demester qui est transformé par la guerre, on est chamboulé par ce film. On se souvient que ce n'est pas seulement des actes d'héroïsme mais c'est surtout des horreurs auxquelles les médias omettent volontairement de parler. Flandres est une oeuvre comme le cinéma français nous montre trop rarement. Un film atypique dans un cinéma qui se la joue très tendre ces dernières années. Et même si on est conscient que l'oeuvre de Dumont ne plaira pas à tout le monde, elle trouvera malgré tout son public...