Flo
6.1
Flo

Film de Géraldine Danon (2023)

J'aime les marins.


Et j'aime les ports.


Sans êtres navigateur moi-même, j'accompagne régulièrement mes amis en mer.


Et à une période où ma vie était en marée basse, j'eus vécu sur un bateau.


Le Ludo.


Avec les potes on l'avait intelligemment rebaptisé Le Lupanar.


Faut dire que la moquette rose et les miroirs faisaient vraiment décors de porno des années 70.


Et moi de même... Moustache/peignoir/couronne (oui je portais une couronne de galette des rois en permanence).


J'y ai d'ailleurs passé le confinement.


Quand on parlait de moi en ignorant qui j'étais on disait "le mec qui se balade en peignoir avec une couronne".


La classe.


Autour de moi, que des "irresponsables". Des suicidaires si amoureux de la vie que c'est dans cette pause de l'humanité qu'ils pouvaient enfin s'épanouir.


Presque.


Car dans cette ère où règnent les médiocres y'a quand même un empêcheur de kiffer en rond qui a eu l'idée d'interdire les sorties en mer.


"Parce que si il vous arrive un truc ça va engorger les hôpitaux" (Imaginez cette phrase avec la voix du troudbal de votre choix).


C'est le poisson rouge habitué du bocal qui dit aux mammifères marins séculaires que la mer c'est dangereux.


Et c'est entre autre durant cette période, lors même que beaucoup demeuraient comme ébahis par l'absurdité de la situation ubuesque qui les frappait, que j'ai un peu repris goût à ce qu'on appelle l'humain.


Certains font...faisaient la "fête des voisins".

Des carnavals, etc...


L'énergie dégagée par ces événements pleins de bons sentiments surgelés comme des poissons de grandes surfaces me scient comme la roulette du dentiste et me titillent le cynisme.


J'ai vécu du vrai savoir vivre voisins.


Un quotidien ornés d'inconnus aux bonjours enjoués ou aux saluts de tête laconiques. Des inconnus intéressés par ta vie.


Dans le port, on a droit à autant de bonjours que l'on croise d'individus (c'est peut-être pour ça qu'on dit "port de plaisance").


La faune?


Du vieux facho et du bledard sans papiers.

De l'ancien flic et de l'ancien taulard.

Du punk à chien et du rasta blanc.

Du roumain, du rital, du portugais...

De l'ancien animateur radio parisien et du pécore.

De la jeune fugueuse et de la femme battue.

Du taiseux et du blablateur.

Des marins confirmés ou des naufragés de la vie qui avaient même jamais pensé à mettre les pieds sur un bateau, échoués là pour diverses intempéries.

Majoritairement des dommages collatéraux de l'existence.

Et pour beaucoup des artisans de la fin de mois difficile.


On était les gens de la digue.


Le "bonjour" et le "ça va? " poli, désincarné, et mécanique de la ville y prenait consistance.


Souvent suivi d'un "T'as mangé ? T'as besoin de rien ? Tu veux passer boire un coup ? "


Pas de le bon coin ou de Airbnb dans les parages.


La plupart sont fauchés mais n'ont pas de coeur à perdre à faire du blé.


"Tu veux un chauffage? Tu veux des baskets? Tu veux mon bateau on m'en a donné un plus grand ? "


Le roumain qui me louait le bateau (un inconnu ayant eu vent de mes soucis) ne me prenait d'ailleurs pas un centime de plus que ce que lui coûtait l'anneau.


Et quand le confinement fût acté il m'a appelé pour me dire, avec nonchalance, de ne pas m'inquiéter du paiement.


C'était une période où j'étais à la fois perdu et rasséréné.



T'es en train de discuter avec deux compagnons de fortune et t'en croises deux autres qui vont faire leurs courses. Tu leur grattes une clope. Ils en filent trois. Ils reviennent des courses et te posent des bières et des clopes accompagnées d'un "Si vous voulez passez manger et boire l'apéro après".


Le pêcheur.

Il arrive sur son zodiac, il pose cinq énormes bonnites.

Cadeau.

Et il repart pêcher.

T'es avec ton pote et tu lui dis " Ça serait cool de t'accompagner à l'occasion. Enfin si et quand tu veux. Sa réponse : ben montez" Et tu te retrouves en train de lutter avec un thon de 20 kilos, de le sortir et de le relâcher.

Pas un mot de sa part.

Si tu lui poses pas de questions il reste silencieux.

Et il aime même pas le poisson ou l'argent le con.

Ce qu'il attrape, il l'offre.

Il aime juste la pêche et l'escalade.

Deux passions qui d'après moi témoignent d'une vie intérieure très intense.

Et bien que solitaire il partage.

Sans hésitation.

Moi qui bosse dans le monde de l'art et du spectacle j'peux affirmer que y'a pas le même partage.


Y'avait le vieux facho.

Un ancien du raid.

On peut dire qu'il était franc du collier sur ses opinions.

Pourtant il était bienvenu aux apéros et aux barbec et lui aussi invitait.

Et les blagues racistes et autres fusaient et on riaient tous de bon coeur.

Il arrivait qu'il soit, sur sept personnes, le seul blanc sur son bateau.

On ne se formalisait pas de ses propos outranciers.

Au contraire.

Ça nous faisait bien rigoler.

Et ça le faisait rire qu'on lui dise qu'il était le pire d'entre nous car il avait été flic.

Aux dernières nouvelles il souffrait d'Alzheimer mais les autres s'occupaient de lui comme ils pouvaient.



Un bateau arrive sur le quai?

Trois personnes ont déjà bondi pour l'aider à amarrer.


Tu entends :


"- Après vous montez boire une bière.

- oulaaa moi chui encore au café !".

Puis des bribes de conversations de passants entrecoupées de " Bonjour"

"J'ai annulé un rendez-vous pour toi. Gueule de bois ou pas gueule de bois Tu m'as dit qu'on partait faire du bateau alors on part faire du bateau. Ou tu préfères que je te jette à l'eau de suite ou mainnant?"

" Ils peuvent se la carrer bien profond leur retraite... (Phrase incompréhensible)... Les gens i croient que la liberté c'est un droit ! Où ils ont vu ça ? Le bon Dieu i leur a laissé un mot?! Ta liberté tu la prends t'attends pas qu'un guignol qui sait à peine se torcher le cul i te l'accorde! "


...


Si je devais résumer ce que j'y ai observé :

Beaucoup de solitude (mais saine) autant de vaillance.

Du sec comme un nerfs de boeuf ou du bide à outrance. Du chaleureux, du roublard, du taiseux, du gueulard, du gueux, du noble, etc... Et une certaine forme de poésie et de sagesse.


Définir la frontière entre un amoureux de la mer et de la voile fauché, et un autre aisé, serait hasardeux. Ils partagent la même passion même si les moyens sont différents. C'est un milieu où l'envie et le mépris s'estompent...


Je romance un peu... Mais si peu.


Le dernier des beaufs dans les parages possède un petit quelque chose de plaisant.


Peut-être est-ce dû au rapport à la mer, au vent, à la contemplation de l'horizon qui pousse le regard à aller au plus loin.


L'expression "regard perçant" y prend tout son sens.


Essayez.


De regarder au loin plus de quelques secondes.


Votre regard va rapidement et inconsciemment fléchir.


Comme lorsqu'on essaie de ne pas cligner des yeux.


Le regard citadin embrasse difficilement l'horizon.


Car en ville un mur se dresse toujours entre vous et le lointain.


Ça doit, d'une certaine manière, contribuer à l'égocentrisme. (Oui en tant qu'homme de zinc amateur des Brèves de comptoirs je n'ai rien contre la philosophie du même nom... Mais j'ai contre ceux qui la dénigre) .


C'était l'intro.


J'ai l'ivresse loquace.


Maintenant parlons du film.


Je n'ai rien ressenti de ce que je viens d'exprimer.


J'ai regardé ça comme j'aurais regardé un film sur les migrants ou les quartiers populaires fait par un bobo.


Paraît qu'ça a été adoubé par certains vieux d'la vieille mais pour moi ça veut rien dire.


J'ai pas ressenti le combat de la Florence pour s'imposer dans ce milieu d'hommes.


Regardez! C'est une femme libre!

Elle boit des coups, elle danse, elle baise!

Ok.

Sans doute qu'elle le faisait.

C'est cool.

Mais c'est pas ce que j'veux voir.

On peut voir la même chose dans n'importe quelle niaiserie qui veut dépeindre "une femme libre".

Moi aussi j'bois des coups, j'danse et j'baise.

J'ai pas remporté la Route du Rhum.

Et j'me sens pas plus libre que ça.

Je pensais pas regarder un film (apparemment réalisé par une amie) sur cette femme qui m'impressionne et m'ennuyer au point de passer des scènes puis de laisser défiler en jetant un oeil par moment.

Et surtout d'avoir l'impression que sa vie n'était pas plus intense que la mienne ou celle de mes proches.

Ça c'est fort par contre.

J'mets cinq parce-qu'il faut noter ce...téléfilm (?)...

Bon vent.


Créée

le 12 avr. 2024

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