L’inondation qui ouvre Flow et met à l’épreuve son protagoniste, un chat condamné à affronter sa peur de l’eau, métaphorise à merveille le dispositif mis en place par Gints Zilbalodis : du passé faire table rase, et par un déluge salvateur, permettre l’émergence du nouveau. Car dans ce voyage initiatique, l’itinéraire initial a tout du délestage généralisé. Le spectateur ne saura rien de la place des hommes dans ce monde où une maison inoccupée laisse des traces d’une activité entièrement dédiée à sculpter des chats, tout comme il n’apprendra pas grand-chose sur les raisons de cette crue massive. Dans un récit dénué de tout langage (comme c’était déjà le cas dans son premier long métrage, Ailleurs), Zilbalodis délaisse les structures traditionnelles, en quête d’un nouveau langage : d’abord celui d’une survie, avant que n’émerge un conte philosophique et poétique.


Cette aventure sur les flots ne nécessitera aucun temps d’adaptation : à l’image des initiatives instinctives du félin face au danger, l’animation s’impose avec une maestria indiscutable. D’abord par un superbe travail sur les textures qui prouve une fois encore que le réalisme lisse de la 3D est à délaisser (même Hollywood commence à le comprendre, en témoignent la série Spider Verse et le récent Robot Sauvage) au profit d’une picturalité plus poétique, enjoignant le spectateur à une contemplation dans laquelle l’absence de dialogue est la bienvenue. Ensuite et surtout, par le langage qui s’y substitue, celui d’une mise en scène impressionnante de maitrise. Dégagé de toutes les contraintes techniques des prises de vue réelles, Zilbalodis fait virevolter son protagoniste au fil des vagues, sous les eaux, sur une cité engloutie et dans les airs avec une fluidité admirable. Si le récit occasionne quelques redondances dans certaines épreuves, le plaisir esthétique les compensera allègrement. La diversité du monde animal lui permet aussi tout un travail de caractérisation, où la gestuelle, les traits et les comportements brossent les traits d’une communauté diversifiée : le chien joueur, le lémurien consumériste, l’oiseau capitaine… Les séquences les plus fortes, comme l’exil de l’oiseau face à sa communauté, témoignent d’un travail très fin sur l’alliance entre l’étude du monde animal, ses interactions avec l’espace et la dynamique d’animation qu’elles génèrent.


La création de la communauté et la symbolique qui en découle sur la nécessité d’être à plusieurs pour affronter l’adversité va occasionner quelques concessions avec la radicalité du début. L’anthropomorphisme a tendance à s’imposer dans certains développements (la manipulation du gouvernail, le sauvetage final), appauvrissant légèrement l’audace initiale. Mais on peut aisément concevoir, dans une œuvre s’adressant à un public plus jeune, la volonté d’une réflexion pédagogique et humaniste. Pour les adultes fatigués des horreurs du monde, cet univers débarrassé des humains aura d’autres vertus, tout aussi bienfaisantes.

Sergent_Pepper
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le 31 oct. 2024

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