Avec son omniprésence d’organes génitaux en gros plans et d’éjaculations généreuses, on aurait vite fait de penser que FluidØ n’est pas une œuvre à mettre devant tous les yeux… et pourtant, c’est ce que le film voudrait. Au-delà de son contenu très explicite, il entend en effet transmettre un message fort, et pour cause : il s’inscrit dans la post-pornographie, un mouvement artistique qui utilise des représentations pornographiques afin d’interroger sur des questions politiques ou sociales. Ainsi, ce ne sont pas les limites du sexe que Shu Lea Cheang cherche à repousser ici, mais bien celles de sa perception. Exit donc les pratiques marginales ou extrêmes : à quelques exceptions près, nous nous concentrons sur des actes qui composent la vie sexuelle de tout un chacun, bien que dans un contexte beaucoup moins intime et plus… démonstratif. Difficile de détourner le regard lorsqu’un pénis en érection occupe toute la largeur de l’écran, pourtant seule une minorité du public pourrait prétendre n’en avoir jamais vu de près…
Là où, en revanche, l’œuvre fait preuve de sa diversité, c’est dans le choix de ses acteurs – ou devrait-on dire de ses performeurs. On y retrouve des personnages de toutes origines, toutes morphologies, toutes identités de genre et toutes orientations sexuelles. C’est ici, entre les revendications féministes d’une femme ne s’épilant pas et les ambiguïtés émancipatrices de personnages transgenres ou non-binaires, que se ressent le plus le caractère engagé du métrage, et sa volonté de secouer les représentations réductrices voire oppressives que l’on voudrait nous imposer. Pour autant, son message ne s’arrête pas là : il réapparaît dans le bras de fer que se livrent le gouvernement et l’industrie pharmaceutique concernant l’appropriation de la drogue, ou encore dans la démarche même de placer le sida au centre de l’intrigue, comme un point de pivot qui inverse ici sa fonction inhibitrice sur la sexualité de la société – tout en restant, en fin de compte, facteur de marginalisation.
Ajoutons à cela le fait que FluidØ a un style qui lui est propre, de son contexte science-fictionnel à son identité visuelle pop et parfois absurde, et on comprend bien vite que son objet n’est pas l’étalage gratuit de sexe en vue de l’excitation, mais bien l’interpellation du public et l’affranchissement joueur des conventions. En présentant aussi frontalement la jouissance à l’écran, le film incite le spectateur à jouir lui aussi, bien que de façon plus chaste, de ce visionnage, et à lever le voile d’hypocrisie qui voudrait le faire détourner le regard. Il est certain qu’une telle audace ne sera pas appréciée de tous, et que la provocation qu’elle constitue semblera outrancière à certains. Pour autant, elle fait du dernier-né de Shu Lea Cheang une œuvre à part, à la fois décomplexée et engagée, crue et ludique, légère et complexe à appréhender, qui sera certaine de ne pas laisser indifférent.
[Lire mon entretien avec Shu Lea Cheang sur EastAsia.fr]