Aussi, lorsque la nuit, ne dormant pas, / Ils s'agitent entre leurs draps, / Songeant qu'au alentours, de village en village, / Les brouillards blancs sont en voyage, / Voudraient-ils ouvrir la porte / Pour que d'un coup la fièvre les emporte, / Vers les marais des landes / Où les mousses et les herbes s'étendent
Emile Verhaeren , "Les fièvres", Les campagnes hallucinées (1893)
C'est à ces quelques vers de Verhaeren que je songe en regardant Fog pour la troisième fois, découvert il y a 3-4 ans, qui curieusement est peut être mon préféré du réalisateur. Et les campagnes du poète belge francophone n'ont d'égal que les montagnes de Lovecraft, elles aussi, comme il se doit, hallucinées..., Lovecraft que , (confidence biographique oblige), Carpenter enfant lisait sous sa couverture lampe torche en main. Un réseau de sens se formerait donc ici.
C'est beau en vérité.
Il y a ce grain de l'image si particulier, légèrement flou typique des 80' et qui fleure le vintage. Très beau même, et plutôt effrayant dans son genre. Cela ressemble à du Argento mais en plus épuré, plus maitrisé, donc plus efficace. Une austère beauté et un vrai film d'ambiance. Le fait est qu'il y a des films où l'on a l'impression d’être chez soi ; par delà les scènes de terreur il y a une beauté du décor qui attire tout de suite , ne serait-ce que dans ces intérieurs plutôt cossus qui marquaient déjà visuellement dans la Nuit des masques.
Ce film est le cas d'école de ce qui peut et doit être un film d'ambiance. Il le matérialise par son objet même : nous avons sous les yeux, de fait, la démonstration qu'un vrai film d'épouvante, ou fantastique, ou même de suspens, est avant tout : ambiance. Avec tout ce que ça implique de suggestion, de non dits, tours et détours...
Le fantastique est comme la brume : partout et nulle part. Insaisissable. Essentiellement affaire d'absence et de vide.
Il y a ici quelque chose de la définition de Dieu donnée par Pascal: un cercle dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Tout à la fois insaisissabilité et omniprésence. Voire surprésence. L'abstrait du film rend la référence appropriée ; telle est la définition du fantastique: quelque chose prend le pouvoir sur le monde , on entre dans une autre dimension...
Et la brume file la métaphore du fantastique tout le long du métrage. C'est un fantastique d'atmosphère qui est ici engagé.
Tout comme dans Halloween ou the Thing, nous avons ici une thématique de l'ubiquité et de l'omniprésence. Mais la force de Fog consiste dans le fait que le propos est tiré vers une dimension surréelle (et non surréaliste) et poétique, d’ailleurs d'entrée de jeu placée sous le signe d’Edgar Poe, avec la citation qui ouvre le film.
Fog pourrait être considéré comme un mixte réussi , d'un retour aux sources du fantastique gothique avec ses images d'épinal (il y a un coté Hammer dans le film moins ces effets datés "stuc" et papier mâché), de la mémoire cinéphilique issue des Oiseaux d’Hitchcock (film d'invasion), et de la bascule temporelle 70-80 où la modernité s'impose réellement.
Certaines séquences évoquent des classiques: La nuit des morts vivants, Chromosome 3, Shining...
Comme souvent dans ce type de film, c'est dans les détails que se cachent les vraies trouvailles: harpon menaçant levé, bibelot tremblotant, lumière fantomatique à l'horizon trahissant une mystérieuse présence citadine (on ne se sent pas loin de Hopper, sentiment que j'avais d'ailleurs eu devant les Oiseaux)...
Tout ceci comme toujours chez Carpenter, filmé avec la sobriété et l'économie de moyens qui le caractérisent. Et une musique minimaliste qui sublime le tout.
En somme une terreur très simple et efficace. Un aspect quasi onirique mais sans évacuer la dimension socio politique chère à Carpenter: car s'il y a ambiance au double sens du terme, brumeuse, mais au service d'une idée du fantastique , c'est aussi pour étayer l’insaisissable présence de ce qui est refoulé, resté à l'écart, mais peut parfois revenir: le fondement d'une communauté au prix d'un crime originaire resté impuni.
Même si le rythme n'est pas trépidant , particulièrement dans les séquences diurnes, l'histoire se déroule, majestueuse et envoutante.
Jusqu'aux détails des toutes dernières images, survenant de façon abrupte, dans toute leur âpreté.
Dans la mémoire Fog et ses fantômes demeurent...