Un de mes premiers traumatismes de jeunesse.
Fog a longtemps tenu la corde du film qui m'avait le plus flippé… sans l'avoir vu.
Une frayeur indescriptible par procuration.
Imaginez la (relative déception) le jour où, quelques années après, je le découvrais sur un écran domestique.
On le sait pourtant, les films que l'on imagine sont souvent bien plus puissants que ceux que l'ont voit.
Pour cette simple mais implacable leçon, je garde pour ce film de Carpenter une affection particulière. Une place dans mon cœur que les grands renforts de spots verts ou rouges sur des nappes fausse brume issue de machines à fumée n'auront pas totalement balayé a posteriori, sous un vent mauvais de lucidité.
La chose est arrivée de manière étrangement simple.
Pendant des vacances d'hiver, mon frère et un cousin décident d'aller voir le film en séance du soir, décrétant de manière arbitraire que j'étais trop jeune pour ce genre de spectacle et qu'il était de toutes façons trop tard pour moi pour les accompagner. Leur rappeler que j'avais vu (seul) Alien quelques mois auparavant n'est pas suffisant pour amoindrir leur pulsion de cruauté: ils iront sans moi. Mon frère est plus âgé de 6 ans, mon cousin de 4 ans, ce qui justifie pleinement à leur yeux cette punition vexatoire: malgré mes presque 12 ans, je ne peux pas les suivre.
Ils m'imaginent vierge d'horreur, et souhaitent me maintenir dans cet état traditionnellement et tristement fantasmé.
Leur retour du cinéma est rapide et tendu. La route qui revient du centre du village est un peu longue, tortueuse et très peu éclairé, ce qui leur laisse tout le temps d'alimenter une frayeur née pendant la séance. Ce n'est qu'allongés dans la chambre (que nous partageons dans ce petit appartement) qu'ils peuvent enfin débriefer les grands moments du film. Me croient-ils endormi, poussent-ils la perversité jusqu'à me faire encore plus regretter ma soirée solitaire ? Toujours est-il qu'ils se racontent les scènes les plus angoissantes du film avec des tremblements dans le voix et leurs frissons traversent les montants des lits, se diffusent à travers les matelas et infusent les draps qui nous séparent.
Réduit à son idée de départ, le film s'enfle d'une pureté que la faiblesse du scénario ou le manque de moyens de ses effets spéciaux ne lui permettaient pas. A travers le récit de mes bourreaux du soir, le brouillard se fait méphitique, et le mal transpire à travers les murs de la chambre.
Je suis alors certain que le smog Carpenterien s'est installé autour notre immeuble, et que les heures qui me restent à vivre se comptent avec celles de nuit, qui sera courte.
Une séance qui, au moins par son souvenir, surpasse de beaucoup tant d'autres qui devaient ensuite me décevoir.
Une ode à l'imagination.
Une définition flatteuse mais méritée, au fond, du cinéma de Carpenter.