1915. Cecil B. DeMille est à Hollywood depuis de nombreux mois maintenant et tourne à un rythme effréné (il réalise jusqu'à 10 films par an). Si le succès est au rendez-vous, on ne peut pas dire que ses oeuvres soient particulièrement mémorables. Cela va toutefois changer avec le long-métrage The Cheat où le cinéaste va pour la première fois mettre en avant ses talents de mise en scène...
The Cheat
Pour DeMille, The Cheat n'est au départ qu'un projet parmi tant d'autres. Il le tourne en journée de 9h à 17h tandis que le soir, il dirige le tournage d'un deuxième film, The Golden Chance. Cependant, le réalisateur entretient une certaine fascination pour l'histoire de The Cheat qui raconte les malheurs d'une jeune femme obligée, pour régler ses dettes, de coucher avec un riche « prêteur sur gages » japonais, Aka Arakau.
DeMille apprécie surtout le caractère poignant de l'intrigue, ainsi que tout son sous-texte sexuel teinté de sadisme et de jeu de domination (des thèmes chers au cinéma de DeMille et que l'on retrouvera dans un grand nombre de ses futures oeuvres).
Dans ce film, le cinéaste décide d'adopter pour certaines scènes une démarche visuelle créative en plongeant ses personnages dans les ténèbres, reflétant ainsi leur état d'esprit. Pour arriver à ce résultat, il effectue de nombreux jeux d'ombres en s'inspirant des peintures de Rembrandt. Ainsi, les décors ne sont plus un espace physique en tant que tel mais un espace « psychologique ».
Cette sophistication de la mise en scène est très novatrice pour l'époque, autant que l'histoire fort scabreuse. Afficher un sujet aussi immoral sur grand écran en 1915 est rendu possible car le cinéma américain n'a pas encore de code de censure, ce qui permet une assez grande liberté dans la façon de traiter les sujets.
Consécration
A sa sortie en 1915, le film est mal reçu par la communauté japonaise des Etats-Unis du fait que l'antagoniste est clairement identifié comme étant nippon. Ce n'est qu'en 1918, lorsque le Japon devient l'allié des américains durant la première guerre mondiale, que DeMille décide de changer l'origine du personnage et d'en faire un birman. Le film voit donc beaucoup de ses intertitres changer et afficher désormais : Aka Arakau, un roi birman...
Mise à part cela, le long-métrage est un succès d'estime et économique aux Etats-Unis. Il rencontre également un accueil favorable en Europe et permet à l'industrie naissante hollywoodienne d'obtenir ses premières lettres de noblesse.
Au final, on peut dire que The Cheat est l'incarnation de ce qui fait la force des films américains, à savoir un rythme d'action rapide et une utilisation fastueuse des décors et costumes. La grandeur des décors est ici renforcée par leur exotisme dû à l'utilisation de nombreux objets japonais. Le critique James Card n'hésite d'ailleurs pas à dire qu'il faudra attendre les années 50 et les films de Akira Kurosawa pour que le public américain puisse revoir de tels visuels.