De l'éthique protestante en Amérique
Préambule : L'oeuvre aujourd'hui critiquée est associée tout du long à l'ouvrage L'éthique protestante et l'Esprit du Capitalisme publié en 1905 et rédigé par Max Weber.
************************************************************************************************************************
Avec Forrest Gump, on sait que c'est toujours l'émotion qui descend des épaules, ce lourd camail de chaleur qui dès le départ nous couvre de l'expérience accumulée. Si les images attrapent et dégouttent tant l’œil, c'est bien car cet objet est avant tout une observation préalable, celle qui pose un problème. Elle a produit des hypothèses, des idées générales. Elle est le problème qui répond lui seul à la question qu'il pose : dans le fond, c'est quoi l’honnêteté? (le problème-réponse est exposé de telle façon à résumer le modèle philosophique d'un film qui mis plus de cinq siècles à naître).
Les confessions religieuses ont toujours eu une particularité dans l'histoire des peuples. L'auteur de ce film-idée sur l'Amérique des années 1990, prête à enfanter Fukuyama, a lu L'Ethique protestante et essaie de rassembler les distinctions idéologiques élaborées par Max Weber pour mettre l'image sur cette modernité actuelle qui fait pleurer l’allégresse,sublime la charité, condamne la malice, vante l'aplomb sans s'arrêter d'évangéliser la norme. En somme, la modernité au sens wébérien.
L’ethos protestant - faire sa confirmation -
Le film est construit sur la psychologie du personnage principal qui a soulevé nombreuses réflexions sur ce site. Retenons la plus audacieuse, celle de IIILazarusIII: "Forrest Gump serait un surhomme". Décidément, tout le monde n'a pas lu la philosophie allemande. Forrest Gump n'a rien d'un surhomme. Forrest Gump est Franklin. Forrest Gump est Luther. Forrest Gump est Calvin. Il est l'héritage imaginaire d'une conscience partagée. Il brille sans jouir, il surfe sur des montagnes russes sans trébucher, immunisé par sa débilité sans borne. Il incarne le résultat honnête en rappelant cette vieille conduite : le procédé plutôt que le but. Autrement dit une conduite de vie méthodique guidée par l'ascèse protestante à l'intérieur d'un monde qui a repoussé Dieu au dehors. Forrest Gump est un croyant car il est toujours inquiet. Toute sa vie, il fait sa confirmation. Parce que la sainteté n'est jamais acquise par les œuvres, le protestantisme fait de l'inquiétude du croyant pour son salut un critère fondamental de relance perpétuelle et jamais éteinte de son activité dans le monde et de son acceptation par les autres membres de la secte, propre à répondre à son angoisse métaphysique, puisqu'une confirmation n'est jamais définitive.
L'individualisme moderne - Forrest Gump, figure sociale de la souffrance accumulée qui produit au bout du compte la réussite : son fils (allégorie de l'élection divine) -
Le Lieutenant Dan milite pour la prédestination, la mère de Forrest affirme que la bonté d'un homme se juge au cours de sa vie. Ces deux discours antinomiques accomplissent l'individu moderne (Forrest Gump) situé au carrefour de Calvin et du bien se conduire dans la vie (fiction d'une force séparée). La réussite dans les affaires, à partir du moment où elle est obtenue honnêtement, est le signe de la grâce divine et reçoit l'approbation de la secte (au sens ancien du terme, c'est-à-dire d'école) entière.
Résumons-nous, Forrest Gump est le visage ambitieux du protestantisme qui survit et redessine toutes ses contradictions face aux modernités actuelles.
Je finis. 5/10. Comprenez bien, la note importe peu car il faut purement prendre cette oeuvre pour ce qu'elle est : une application contemporaine des travaux de M. Weber, une transposition des "affinités électives" dans la nouvelle Europe, celle qui impulse, celle qui rend marginales les variables encombrantes, celle qui autonomise dans l'universalité: l'Amérique de Tocqueville.