Intelligent.
Du latin Intellego, es, ere, intellexi, intellectum : "comprendre".
Comprendre : "cum prendere", prendre avec soi.
Et pourtant, Forrest a beau ne pas être le plus vif des esprits, rarement aura-t-on vu un personnage saisir la vie (au double de sens de "prendre" et de "comprendre") avec une telle justesse. D'une naïveté innocente mais toujours touchante, n'appelant jamais à une compassion qui aurait pu être malsaine, Forrest Gump est une anomalie. Une plume dans un monde de plomb. Optimiste et généreux, il glisse sur le mal pour en rester vierge. Oui, il a raison lorsqu'il dit au Lieutenant Dan qu'il ira au Paradis.
Voir l'histoire américaine sur plusieurs décennies, de l'après-guerre à Reagan, en passant par Kennedy ou le Viet-Nam, à travers le prisme d'un esprit aussi pur que celui de Forrest a quelque chose de magique. Tour à tour étudiant, soldat, héros, champion, entrepreneur, Forrest est fascinant de légèreté... et il nous éclaire... non en expliquant les événements de manière rationnelle et argumentée, mais en les vivant, en étant en plein coeur d'eux, en nous transmettant ses sentiments tacites par un canal indéfinissable mais terriblement - ou plutôt merveilleusement - puissant. Par empathie mais également par une observation avec le recul des actions "tranquilles" et "gratuites" du naïf Gump au milieu de la brutalité de l'humanité, le spectateur est amené à relativiser de manière inouïe les choses et à s'interroger sur sa propre vision du monde.
Nous sommes souvent comme ce peloton qui finit par suivre Forrest dans son marathon invraisemblable à travers l'Amérique : nous courons, mais nous ne savons pas pourquoi. Lui a l'intuition de pourquoi il court : parce qu'il l'a voulu.
Pas de but, pas de projection dans la vie de Forrest, juste une vie présente. Attention à ne pas confondre cependant cette attitude avec celle des apôtres du "moment présent", qui sont eux conscients de leur propre aspiration à ne pas calculer.
C'est sans doute d'ailleurs là que repose l'essentiel de la différence entre Forrest et l'homme dit "normal" : son attitude vient de son ignorance, non d'une quelconque réflexion... et c'est ce qui fait aussi son innocence et sa vertu. De quoi mettre à mal la doctrine platonicienne de la vertu-science.
Mais il serait à mon sens risqué de voir autre chose qu'une ébouriffante métaphore dans l'existence de Forrest Gump, et il convient de saisir toutes les vérités qu'il nous transmet inconsciemment par images ou par mots simples en autant de questions sur nous-mêmes plutôt que comme des réponses. Nul ne sera jamais Forrest Gump. Mais tous nous pouvons décrypter une partie de nous-mêmes grâce à lui.
Comment mettre une autre note que 10 à un tel chef d'oeuvre alors ? Pourtant, j'en mets rarement. A l'heure où j'écris, ce ne doit être que le quatrième que je mets à un film. Preuve que la récompense ultime n'est pas donnée à la légère.
L'histoire fabuleuse et enrichissante de Gump est orchestrée magistralement par un Robert Zemeckis que je finirai par vénérer un jour, servi merveilleusement par la musique d'Alan Silvestri et les quelques chansons populaires collant parfaitement au rythme et au ton du film, et par un Tom Hanks for-merveilleux-fantas-midable !
Ce film fait frissonner, pleurer, réfléchir, et même, souvent rire, mais toujours avec une exquise subtilité. Un pur délice du septième art. Il nous fait nous envoler dans des cieux insoupçonnés de l'intelligence, traversés d'une lumière pure et blanche, approcher en un mot l'essence de la vie, à la fois tout là-haut loin de nos esprits et si proche de ce que nous sommes véritablement. Plus de deux heures de film... jamais je n'ai eu envie qu'il finisse.