Fragile, le troisième film de Jaume Balaguero malgré ses 4 prix à Gerardmer, ses deux nominations aux Goya et l'excellente réputation de son réalisateur ne sera jamais sorti en salles chez nous. A défaut d'avoir trouvé sa place en salles Fragile mérite de trouver la sienne dans le cœur des fans de cinéma fantastique même si c'est par le carcan un peu étroit de nos télévision.


Fragile raconte l'histoire d' Amy, une jeune infirmière qui intègre un poste de nuit dans un hôpital en cours de fermeture sur l'ile de Wight. Il ne reste plus alors qu'une poignée d'enfants qui faute de place n'ont pas encore pu rejoindre leur nouvel établissement médical en centre ville. C'est donc une sorte de vaisseau fantôme en perdition que rejoint Amy tant le Mercy Falls est une immense bâtisse hospitalière qui est déjà partiellement abandonnée d'une bonne partie de ses occupants qu'ils soient patients ou membres du personnel. Très vite Amy devra faire face à une série d’événements étranges comme ses enfants victimes de fractures spontanées et inexplicables ou les apparitions d'une mystérieuse fillette mécanique que seule une petite fille prénommée Maggie semble voir. Pour Amy commence alors un combat pour comprendre ce qui se passe à Mercy Falls et sauver les huit derniers enfants encore présents .


Fragile est donc le troisième film de Jaume Balaguero après ce monument de noirceur qu'est La Secte sans Nom et le tout aussi sombre Darkness. Deux précédents films qui ont un petit peu engluer le réalisateur dans une image de cinéaste torturé et nihiliste faisant carburer le fantastique aux plus sombres et bas instincts de l'homme. Fragile se démarque pourtant des œuvres précédentes de Balaguero par une approche beaucoup plus sensible et mélancolique du fantastique. Le cinéaste en laissant pour un temps les tréfonds de nos âmes abandonne aussi quelques effets de mise en scènes et de montages qui étaient tout à la fois sa signature et un pur effet de style redondant que l'on pouvait identifier comme étant déjà la manifestation d'un relatif manque d'imagination de la part du réalisateur. Ici Jaume Balaguero livre un film sans trop d'effets de mise en scène gratuit, tout entier porté par son récit comme si en se débarrassant de ses quelques tics de montage il avait voulu resserrer tout entier son propos sur l'histoire qu'il raconte. Fragile reste une histoire "classique" de fantômes mais les éléments purement fantastique sont rares et finalement assez discrets du moins durant les deux premiers tiers du film. Balaguero installe donc un à un tout les enjeux dramatiques, met en place toutes les relations entre les personnages et pose lentement les bases d'un univers tangible et instable, prêt à chaque instant à basculer dans une autre dimension plus surnaturelle. Une mise en scène plutôt sobre donc , renforcée par une belle direction d'acteurs car il offre à Calista Flockhart rien de moins que son plus beau rôle et une formidable porte de sortie au personnage d' Ally MBeal qui semble définitivement lui coller à la peau. Calista Flockhart s'en sort plus qu' honorablement en faisant preuve d'une belle intensité dans chaque scènes, l'actrice s'impose donc naturellement dans un rôle difficile et émouvant, Véritable exploit également de rendre le comédien Richard Roxburgh enfin convaincant et sobre en tout cas très loin de sa pitoyable interprétation de Dracula dans le Van Helsing de Sommers ou de ses cabotinages habituels. Il faut aussi saluer la confirmation d'une jeune actrice espagnole formidable, Elena Anaya déjà présente dans Parle avec elle d'Almodovar et qui ici livre une jolie prestation qui en fait à mes yeux le personnage le plus touchant du film. La scène ou celle ci apprends la mort de son ancienne collègue infirmière alors que les enfants regardent un dessin anime est assez émouvante, Balaguero mêlant adroitement le regard d'enfants face à la mort fictive de La belle au bois dormant et celui d'Helen (Elena Anaya donc) face au décès bel et bien réelle d'une amie proche.


Fragile est avant toutes choses un drame intimiste qui distille une ambiance de terreur diffuse qui ne verse jamais gratuitement dans le spectaculaire. Ici pas de profusion gore ou de débauche d'effets spéciaux numériques car les blessures et les déchirures sont toujours internes à l'image même de ses fractures mystérieuses qui frappent les enfants. Balaguero exploite d'ailleurs complètement ce thème de la fragilité et de la fracture durant tout le film. Amy est une femme d'apparence fragile avec un visage fin et pale de porcelaine mais avec à la fois une grande force de caractère et une terrible fracture intérieure ; l'hôpital de Mercy Falls est une imposante et massive bâtisse centenaire qui se fissure et se déchire de l'intérieur et les enfants qui au premier regard semblent plein de vie dissimulent tous en leur corps de terribles maladies respiratoires. Helen la jeune infirmière est aussi un personnage qui menace à chaque instant de se fissurer. Et puis le cœur même du film n'est rien de moins que la fragilité de la vie elle même , la fragilité de nos sentiments , de nos décisions, de nos comportements, de nos cœurs toujours prompt à se rompre comme des os provoquant des fractures irréparables de nos âmes toutes entières. Car une des grande force de ce Fragile est aussi de faire naître la terreur et le surnaturel non pas de la haine et du mal mais uniquement de l'amour (même possessif et destructeur). C'est l'amour qui pousse et caractérise ici les actions et motivations de tout les personnages du film . Et ce sont finalement des raisons paradoxalement assez proche qui poussent à la fois Amy à vouloir sortir les enfants de l'hôpital et The Mechanical Girl à les retenir prisonniers de ses murs, l'amour étant tout à la fois un moteur de reconstruction et de destruction. On est donc dans un tout autre registre que celui de la recherche malsaine de la perversion par le mal absolu de La Secte sans Nom ou les invitations aux ténèbres de Darkness les deux précédents films de Balaguero, car ici tout n'est que le fruit nourrissant ou pourrissant d'un formidable besoin d'aimer et d'être aimé.


La force du film tient aussi beaucoup dans son univers visuel et sonore particulièrement soigné. Il faut saluer la photo superbe de Xavi Gimenez qui avait déjà œuvré sur les deux précédents films de Balaguero et sur The Machinist de Brad Anderson. Le film baigne ici dans une ambiance étrangement bleutée évoquant parfaitement la froideur métallique propre au personnage fantomatique du film, un bleu tirant vers le gris d'un ciel désespérément pluvieux durant toute la durée du film. L'autre "couleur" du film étant une teinte jaunâtre tirant vers le vert évoquant tout à la fois le sépia d'anciennes photos que la pourriture d'une eau croupissante. Une ambiance visuelle alors assez proche de celle de L'Hôpital et ses Fantômes la série culte de Lars Von Trier tout en étant beaucoup plus esthétisante et beaucoup moins granuleuse. La scène terrifiante ou Amy explore à la recherche d'indices le second étage désaffecté et fermé de l'hôpital depuis 1959 évoquera forcement des souvenirs aux joueurs de Silent Hill tant on retrouve ici cet aspect d'un univers parallèle se révélant soudain comme dans une faille et le reflet d'une autre réalité. Un univers réaliste tout en étant une excroissance surnaturelle de nos repères, ce second étage n'étant que le reflet à peine déformée de celui dans lequel réside toujours les derniers enfants .Un univers d'une grande cohérence et rempli d'une foule de petit détails trouvant des échos au cœur même du récit, ainsi lorsque Amy découvre la chambre de Charlotte celle ci est remplie de jouets en métal ou de choses avec des mécanisme en dysfonctionnement. On pourra aussi noter une étrange image récurrente de papillons tout d'abord dans le générique de début puis dans le dessin de l'enfant autiste auquel Amy rend visite, puis sur les images d'un téléviseur et enfin sur la porte vitrée d'une chambre abandonnée au second étage. Un film avec un univers visuel particulièrement riche donc et surtout en parfait accord avec le fond même du film. Il faut aussi saluer la superbe musique de Roque Banos fidèle compagnon de Alex de la Iglesia depuis quelques film (Mes Chers Voisins , 800 balles, Le Crime Farpait ) et qui signe ici un score tour à tour effrayant mélancolique et au final absolument bouleversant. A noter d'ailleurs que Banos fut nominer aux Goya (les césars espagnols) avec Fragile pour la meilleur musique de film,


Même si ce troisième film de Balaguero marque une sorte de rupture (encore!) par rapport à ses précédentes œuvres, on retrouve aussi de nombreux éléments propres au cinéaste espagnol qui en font tout autant qu'un merveilleux conteur un véritable auteur du cinéma de genre. On retrouve ici le thème de l'enfance et de l'innocence en confrontation direct avec le mal et l'occulte mais aussi la présence d'une femme comme personnage principale. La figure de mère qu'elle soit réelle comme avec Lena Olin dans Darkness et Emma Vilarasau dans Los Sin Nombres ou de substitution comme pour Anna Paquin toujours dans Darkness et Calista Flockhart dans Fragile est une image forte et constante de l'œuvre de Blaguero . Fragile choisit de toucher en nous la corde sensible par une réelle empathie vis à vis de personnages en déséquilibre émotionnel constant ,Balaguero livre un film sur le fil du rasoir que certains cyniques ne manqueront pas de railler précisément là ou d'autres y verseront des larmes. Balaguero ose même terminer son film en versant dans l'émotion la plus abrupt et nous gratifie le temps d'une scène d'un baiser absolument magnifique et porteur d'une force émotionnelle rare qui personnellement m'aura mis les larmes aux yeux. Afin de finir de nous achever complétement Balaguero conclut son film sur un plan magnifique pour simplement nous dire que ceux qui nous aiment ne nous quitteront jamais.


Fragile est donc un très beau film fantastique , un film d'une sensibilité et d'une intelligence plutôt rare qui va forcement méchamment remuer les sentiments de tout ceux qui auront connu la tristesse de perdre un jour l'un de leur proche. Un film sur la vie et la mort, sur la perte, sur la solitude, sur cette envie et ce besoin d'amour qui va au delà même de nos raisons et de la vie. Fragile est une perle rare , précieuse, belle et délicate ....une œuvre fragile tout simplement.

Créée

le 9 mai 2021

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Freddy K

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