---Bonjour voyageur égaré. Cette critique fait partie d'une série. Tu es ici au vingtième chapitre. Je tiens à jour l'ordre et l'avancée de cette étrange saga ici :
https://www.senscritique.com/liste/Franky_goes_to_Hollywood/2022160
Si tu n'en a rien a faire et que tu veux juste la critique, tu peux lire, mais certains passages te sembleront obscurs. Je m'en excuse d'avance. Bonne soirée. --
diabolique,
C’est la boule au ventre que je me suis lancée dans ma solitaire entreprise. J’ai peur. Peur que mes supplications ne te soient pas parvenues à temps, peur que tu ne les ai pas entendues. Peur de ne plus trouver que tes cendres à mon retour. J’ai couru tout le jour et une partie de la nuit le long de la cote enneigée. Un épais blizzard s’est posé sur les fjord que je gravis, que mes sens ont du mal à percer. Je n’ai croisé personne. Ni homme ni loup. Alors ce soir j’ai été particulièrement sensible à une thématique qui a pourtant traversé tout le mois : celle du désir de solitude qui guide les pas de la créature de Frankenstein. Celui « a qui il n’a pas donné de nom » oralise cette évidence, en prenant en plus ce soir un exemple bien proche de ma situation : monter toujours plus au nord, fuir les Hommes et vivre dans la plus parfaite solitude avec sa seule amie. Tu avais raison finalement, Wulver ressemble terriblement à la créature de Frankenstein. Crois-tu qu’il m’attend, moi, sa seule amie ?
Et c’est là que je vois les limites de ma démarche, la dualité qu’elle présente. Tous les ans je suis confrontée à un film en particulier qui me fais me questionner sur mon propre cheminement, sur la pertinence de mon obstination mensuelle à engloutir plus que de raison des films sur la même créature. Ce mois-ci donc, c’est le film sobrement intitulé Frankenstein, daté de 1994 qui me plonge dans ses abyme réflexives. Car si dans le cadre de ma démarche et de mes aventures ce film m’a laissé rêveuse et pleine d’espoir, la cinéphile bien humaine en moi crie au « bof ». Pourtant avec le roi des monstres plus ou moins humains qu’est Frank Darabont au scénario et ma divine Helena Bonham Carter incarnant pour la première fois une Elizabeth consistante, rien ne pouvait mal se passer. Et ce n’est pas tant que ça s’est réellement mal passé, mais le film me laisse malgré tout un amer goût mitigé. Et cette fois, je crois avoir compris pourquoi : je viens de réaliser que le vrai héro du roman et de toutes les adaptations plus ou moins fidèles que j’ai vues jusqu’ici ce n’est pas celui que je recherche dans ce mois. Le véritable héro, celui à la personnalité passionnante, tour à tour attachant scientifique ou diabolique méchant, ce n’est pas le monstre mais son créateur, l’éponyme baron Frankenstein. La cinéphile qui dort en moi l’a bien compris, et inconsciemment je juge les films par ce biais là aussi. Jusqu’à présent je ne m’étais pas vraiment posé la question car les choses se correspondaient bien : quand la créature était bien dans un film, le docteur l’était également, et inversement. Mais ce soir tout mon malaise réside dans le renversement de la situation : si le monstre, celui que je suis venue chercher avec ma démarche saugrenue est une belle réussite, grimant dans un horrible sublime un Robert de Niro à qui le personnage colle à la peau, lui travaillant une personnalité torturé sans basculer dans le bisounours et lui rendant toute la part de cruel que les autres films avaient tendance soit à sur-doser soit à cacher sous le tapis ; le docteur quant à lui est bien fade en comparaison. Ma cinéphilie s’ennuie quand le monstre en moi jubile. Que penser alors ?
Rien de mal malgré tout. Car si elle est basique, j’apprécie tout de même la démarche du film qui est de remettre au goût du jour le chef d’œuvre de Mme. Shelley. Car en définitive, bien que les dérivations autour du sujet aient foisonnées, ça faisait longtemps qu’on avait pas fait une fidèle adaptation du roman, ni plus ni moins. En 1994, on est à un moment où on peut justement supposer que la plupart des gens n’ont pas vu Frankenstein s’est échappé, 1957, dernière adaptation pourtant déjà bien travestie du roman. C’est assez généreux finalement de la part du Frankenstein de 1994 de refaire découvrir cette légende à un plus jeune auditoire. Plutôt très fidèle au roman, le film se permet une unique fantaisie qui est de placer le récit dans la bouche d’un Frankenstein à bout de course, livrant une dernière fois son récit à un aventurier. Comme dans Frankenstein Unbound en quelque sort, le héro rencontre une fois de plus un alter-ego, cette fois un capitaine explorateur, prêt à tout pour faire écrire son nom dans les livres d’Histoire en pénétrant l’impénétrable pôle Nord. Cette fois-ci par contre, notre aventurier prendra exemple des erreurs de son reflet et renoncera à son rêve car il apprendra à en mesurer les conséquences… Hm. A bien y réfléchir, je ne suis pas sure d’être parfaitement d’accord avec cette morale fataliste.
Et voila qui me replonge dans une intense réflexion, car si je n’aime pas cette morale, c’est pourtant celle que je te demande de suivre : préférer la prudence à l’héroïsme. Suis-je égoïste, simplement aveuglée par l’amour, ou les deux ? J’ai beau me forcer, je n’arrive pas à revenir sur mon désir de te voir sortir de cette guerre ans y laisser tes griffes. Car si je revenais pour ne rencontrer que ton héroïque nom sur une plaque commémorative, alors comme ma créature de Frankenstein de ce soir, j’en aurais fini avec les humains, et je retournerai à ma solitude et à ma première nature.
Toujours tragiquement tienne,
H.