Fidèle au livre, mais trop maladroit
Kenneth Branagh nous livre dans ce film une interprétation très fidèle au livre de Mary Shelley, c'est une première. Pour avoir vu quelques uns des films consacrés au mythe de la créature, j'ai pourtant trouvé qu'il n'était pas pour autant le plus réussi. Loin s'en faut. Bien que plutôt agréable dans l'ensemble, de grosses maladresses viennent considérablement gêner l'immersion du spectateur.
Là où par exemple James Whale avait su tirer parti d'une interprétation plus libre, pour donner quelques scènes d'anthologie au cinéma fantastique, Kenneth Branagh colle trop à l'histoire de Mary Shelley sans prendre aucun parti pris artistique. Rien de rien. Il se contente de transposer l'histoire avec une vision très théâtrale et une photographie très classique. Pire, le film avance en cumulant les clichés et en forçant constamment les traits des différents personnages, jusqu'à les rendre grotesques pour la plupart. À l'exception de Robert De Niro, qui profite d'un maquillage et d'un rôle en décalage avec son image habituelle, tout les personnages sont plats et sans relief.
L'interprétation, en plus d'être insipide, est alourdie par les gros plans servis à tout bout de champ. On accentue donc encore plus l'effet d'amateurisme, au lieu de donner du relief aux scènes tragiques. Les personnages sans cesse larmoyants ne rendent pas non plus hommage au roman gothique et avant-guardiste de son auteure, qui jouissait par ailleurs d'une technique littéraire très élaborée pour l'époque et surtout d'une ambiance raffinée. Mary Shelley mettait toujours en oppositions les principes et les points de vue du Docteur Frankenstein avec ceux de sa créature. Çà permettait de donner un jeu de dialogues élégant et des scènes clés savamment travaillées. Chaque point de vue avait sa part de légitimité, et n'était jamais pollué par aucun parti. C'est la violence des préjugés des humains qui contrastait, plus que la violence des meurtres ou le comportement de la créature. Et le fait que les hommes refusaient de conférer un statut d'être humain à la créature faisait de la dualité savant / créature quelque chose de très intéressant et de novateur.
Ici, cette opposition est réduite à néant par des scènes qui arrivent comme un cheveux sur la soupe, et même si (enfin) la créature semble douée de réflexion, seule l'interprétation de De Niro donne de l'intensité et un minimum de relief, car le rythme est mal maîtrisé et les séquences trop courtes. Ou mal exploitées, au choix.
Pour finir, il y a enfin les choix artistiques contestables. Comme pour l'expérience qui donnera la vie à la créature. Elle est une parodie plutôt maladroite de la scène célèbrissime de Colin Clive dans le Film de James Whale, avec Boris Karloff. La fameuse scène du 'It's alive !"
Un manque de fraicheur, donc. Encore une fois. Le tout ponctué par une série d'effets spéciaux un peu bancals... Ce n'est pas bien vendeur tout ça...
Ça sent le gros gâchis à plein nez, et c'est assez incompréhensible d'ailleurs. Car il y a pourtant des pointures, comme Helena Bonham Carter, Ian Holm... Et Kenneth Branagh !
Donc à part faire plaisir au fan et raviver une série de films plutôt moyenne dans son ensemble, le film s'effrite assez vite.
Mais il n'est pas condamnable dans son intégralité.
Kenneth Branagh a en effet choisi certains décors atypiques, et a réussi a donner une vision personnelle et jubilatoire à l'expérience en elle même. Même si les choix artistiques sont contestables, ils ont au moins le mérite de prendre un risque dans cette partie, là où le reste du film est trop plat et trop lisse.
Ensuite il y a le fait de vouloir coller à l'histoire, justement. Pourquoi était-ce tellement difficile à faire ? Il est un des rare à avoir voulu rendre hommage au roman en restant le plus fidèle possible à la trame originale. Et j'aime la démarche, même si cela s'est révélé franchement casse gueule à l'arrivée. Ce film m'a montré que même une pointure issue du théâtre classique peut se tromper de route et contre toute attente, se prendre les pieds dans les rigueurs d'un texte de la période romantique. Car toute la magie du livre tient justement dans cette subtile alchimie entre dialogues enflammés, personnages torturés et ambiance fantastique épurée. Et c'est peut être justement pour ça que c'est très dur à reproduire. Le livre n'en fait jamais trop, comme dans la plupart des classiques romantiques justement. Il suscite, mais n'en fait jamais trop. Et dans l'histoire du cinéma, je me trompe peut être, mais ce sont souvent les plus humbles qui détonnent le plus, à l'instar d'Alien de Ridley Scott, d'un Moon de Duncan Jones ou des Fils de l'homme d'Alfonso Cuarón. Tous ont en commun leur ambiance qui vous colle les tripes au fond des chaussettes et vous immergent dans une histoire passionnante, ce qui est en fait un parfait résumé de "Frankenstein ou le Prométhée moderne", de Mary Shelley.