Interminable deuil
Avant tout mitigé, perplexe et pas entièrement convaincu, me voici un peu embarrassé face à ce dernier projet de François Ozon, qui, osons le dire, n'est pas totalement clair et fait du sur-place...
Par
le 8 sept. 2016
52 j'aime
8
Les personnages de François Ozon ont toujours eu à composer avec le mensonge ou la fiction : c’est l’occupation favorite du jeune lycéen dans Dans la maison, l’activité cachée de la jeune fille dans Jeune et Jolie, ou l’identité sexuelle de Duris dans Une nouvelle amie.
Frantz creuse le même sillon, mais sous le joug de quelques modulations qui en renouvellent les finalités : d’abord, une vérité cachée aussi au spectateur, et un accès à la vérité qui ne prendra pas forcément le tour attendu.
Dans une Europe encore brulée par la guerre, l’arrivée d’un français en Allemagne, en 1919, vient remuer les braises. Ozon prend son temps dans le portrait réduit d’un pays, entre une famille en deuil et une petite ville dans laquelle nait déjà le nationalisme blessé qui aura les conséquences que l’on connait. La rigueur un peu protestante de ces images, l’austérité des intérieurs et le recours au noir et blanc font forcément penser au Ruban blanc d’Haneke. Deux mensonges cohabitent déjà : celui d’une Allemagne pensant se reconstruire dans la revanche, et celui qu’on pressent, sans le comprendre, d’Adrien.
Cette atmosphère étouffante, qui exploite les passions exacerbées, voire l’épuisement de toute une population après le carnage et la défaite, parvient à ses fins : le discours pacifiste, l’absurdité de la guerre et la relativité de la victoire sonnent assez juste.
Au sein de la famille, le couple franco-allemand s’impose : si Niney insiste un peu trop sur la fébrilité et manque parfois de mesure, sa partenaire, Paula Beer, est rigoureusement parfaite.
Puisqu’il s’inspire du Broken Lullaby de Lubtisch, Ozon joue la carte du mélo à l’ancienne : on sent aussi quelques touches du Temps d'aimer et le temps de mourir de Sirk, sur cette cohabitation entre la haine collective de la guerre opposée à l’épanouissement sentimental des individus.
C’est cet aspect qui pèche un peu. La navigation entre le noir et blanc et la couleur, parfois assez poussive, empèse la démonstration, et l’écriture en deux temps vire au systématisme. Alors qu’on a bien compris que le regard sur l’Allemagne renvoie dos à dos deux nations, Ozon se sent obligé de tendre un miroir inversé d’un très grand nombre de séquences (le train, les hymnes nationaux, les morceaux de musique, les familles…), dévoilant des artifices d’écriture dont on aurait pu se passer.
Pourtant, les développements de l’intrigue dans ce nouveau départ prennent une direction vraiment intéressante.
Contrairement au trauma attendu par la révélation de la vérité, celle-ci occasionne diverses réactions, et surtout des adaptations reprises par Anna, qui devient le véritable personnage principal. En cachant la vérité aux parents de Frantz, elle apporte l’apaisement dans leur deuil. Mais, et c’est là la dernière direction assez passionnante, elle construire une nouvelle mystification lorsqu’elle tente de retrouver Frantz pour le ramener en Allemagne pour, s’imagine-t-elle, l’épouser. L’accession à une vérité inattendue décroche le film du mélo attendu : Adrien est décevant, et Anna doit poursuivre la thérapie toute seule. L’émancipation est progressive : de l’Allemagne natale, de ses beaux-parents après leur avoir rendu la bienveillance qu’ils avaient eu à son égard, du deuil de son fiancée par la révélation que l’éveil d’un autre amour est possible. Et, enfin, de cet être bien vivant qui ne se révèle pas à la hauteur.
Cet accès à une vérité unique, constitutive d’un individu, se nourrit des mensonges entendus et de ceux redistribués. Ce parcours vers la révélation aura beau avoir pris les détours du romanesque et les larmes du mélodrame, il puise sa source dans deux images essentielles : un visage quadrillé dans un confessionnal, dans lequel l’idée du pardon s’impose, et le plan final, où l’évidence d’un élan vers la vie se formule.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Guerre, Mélo, Portrait de femme, Les meilleurs films sur la Première Guerre mondiale et Vus en 2016
Créée
le 19 sept. 2016
Critique lue 3.8K fois
80 j'aime
15 commentaires
D'autres avis sur Frantz
Avant tout mitigé, perplexe et pas entièrement convaincu, me voici un peu embarrassé face à ce dernier projet de François Ozon, qui, osons le dire, n'est pas totalement clair et fait du sur-place...
Par
le 8 sept. 2016
52 j'aime
8
Si l'on devait ajouter une couleur à la palette de François Ozon, une teinte qu'on ne lui connaît pas, ce serait celle de la subtilité ou du moins de la sensibilité. Le ton qu'il adopte dans Frantz...
Par
le 7 sept. 2016
40 j'aime
11
Difficile de parler de Frantz et de porter un avis sur le film sans déflorer les tenants et aboutissants de son intrigue. Oh, rien de renversant, pas de twist de la muerte en vue. Non, rassurez-vous...
le 7 sept. 2016
31 j'aime
10
Du même critique
Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...
le 6 déc. 2014
774 j'aime
107
Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...
le 14 août 2019
715 j'aime
55
La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...
le 30 mars 2014
618 j'aime
53