Free Zone, c'est une courbe en U : un début et une fin très réussis, un énorme ventre creux au milieu.

Dans la scène d'ouverture, Amos Gitaï ose la durée : Natalie Portman en gros plan contre la vitre d'une voiture, pleurant comme une fontaine sur fond d'une comptine israélienne nommée Chad Gadya. La chanson se déroule dans son entièreté, soit pas loin de 5 minutes. Il y est question d'un cycle infini de violence, d'un serpent qui se mord la queue. Ce n'est pourtant pas le conflit israélo-palestinien qui met l'Américaine dans cet état mais la rupture qu'elle vient de décider d'avec son amoureux. Elle n'a qu'une envie : rouler, peu importe la destination.

Hanna, la conductrice, ne veut pas l'emmener mais elle finit par céder. Passée la crise de larmes, Rebecca se montre ouverte, enthousiaste même, et bien plus légère que sa conductrice. Il faut dire que le mari de cette dernière, Moshe ben Moshe, vient d'être blessé dans un attentat et qu'il lui a enjoint de se rendre dans la "free zone" récupérer une grosse somme d'argent auprès d'un partenaire surnommé l'Américain. Voilà donc les deux femmes parties pour la Jordanie.

Durant le trajet, des images des derniers instants vécus par les deux femmes se superposent avec celles de la route. On voit Rebecca dans son ultime conversation avec son compagnon, qu'elle décide de quitter après avoir appris qu'il a violé une femme en situation de combat. Du côté d'Hanna, on suit l'explosion de la voiture de son mari, puis l'accueil de Mme Breitberg, une riche touriste exigeante dont on apprendra qu'elle est la mère de l'ex compagnon de Rebecca : l'Américaine ne se trouvait donc pas dans la voiture d'Hanna par hasard. Contrairement à beaucoup d'avis que j'ai pu lire à ce sujet, j'ai trouvé cette surimpression très réussie, bien dosée dans sa netteté fluctuante, exactement comme le passé et le présent peuvent se mêler dans l'esprit lors d'un long voyage en voiture, l'un et l'autre prenant alternativement l'ascendant.

On suit alors le périple des deux femmes : passage de la frontière plus ou moins tendu, arrêt à une station-service, paysages qui défilent. L'intérêt chute brutalement. Jusqu'à l'entrevue avec Leila, la femme de l'Américain, qui a disparu. Il y a là une belle tension, malgré tous les efforts de part et d'autre pour rester courtois. La relation Hanna-Leila a bien sûr valeur métaphorique : elles peuvent s'entraider, comme lorsque Leila aide Hanna a changé la roue de son énorme 4x4, et même s'abandonner à la joie, comme lorsqu'elles entonnent une chanson dans la voiture. Mais la tension n'est jamais loin car chacune ne défend que son propre intérêt. Hanna ne veut rien savoir des difficultés qu'a à affronter Leila arguant qu'on a incendié la maison de son mari et que son fils s'est enfui : elle veut son argent, point. Dans l'ultime scène, cocasse, à l'avant de la voiture, chacune campe sur ses positions : Leila déclare qu'elle n'a pas l'argent car son fils l'a volé, Hanna ne la croit pas et lui demande de tirer le magot de son sac. Le film s'achève sur un échange bloqué. Savoureux.

Quant à Rebecca, elle a découvert que "l'Américain" était en fait un Palestinien à qui on a proposé d'émigrer aux USA, avant qu'il revienne ici et subisse les violences des locaux. La scène est longuette, au milieu des ruines et des chèvres. Aucune indifférence de sa part mais à la fin du film on la verra s'enfuir, abandonnant ses deux compagnes de route. Métaphore là aussi, de l'attitude de l'Oncle Sam, seul sans doute à pouvoir infléchir le cours des choses mais qui préfère laisser les deux parties s'engluer dans un conflit sans fin.

Malgré ces deux sommets singuliers, malgré également l'interprétation impeccable (outre Natalie Portman probablement motivée par le projet car née en Israël, saluons Hana Laszlo récompensée à Cannes et Hiam Abbass, tout aussi captivante) l'ensemble du film déçoit. On a connu Gitaï plus inspiré, par exemple dans le superbe Kadosh ou encore dans le captivant Désengagement. Un petit crû.

6,5

Jduvi
6
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Créée

le 22 mai 2024

Modifiée

le 22 mai 2024

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