Pourquoi tant de haine ?

Rois et reine, Un Conte de Noël et Trois souvenirs de ma jeunesse sont les films de Desplechin que j'ai beaucoup aimés. Je le considère comme un des rares très bons réalisateurs français actuels et peut-être même comme le meilleur. Je suis donc allé voir Frère et soeur avec un biais favorable, voire très favorable, parce que j'avais lu du film qu'il était dans la lignée de Un Conte de Noël. Je ne suis ni un professionnel ni un technicien du cinéma, mais j'ai vu énormément de films et je suis probablement ce qu'on appelle un artiste raté (ou, au mieux, méconnu).

Le contexte de mon appréciation étant posé, voici mon avis sur le film. J'ai dans l'ensemble bien aimé. Je pense que la réalisation est très bonne, que le casting est plutôt bon, et le jeu des acteurs presque excellent. Marion Cotillard (Alice Vuillard) notamment m'a semblé meilleure qu'elle n'avait jamais été : très convaincante, touchante, séduisante. Et Patrick Timsit (Zwy, l'ami psy de la famille Vuillard) m'a également surpris et épaté. Les deux parents (qui ont des rôles modestes, en tout cas à l'écran) sont bien castés et jouent bien, juste. Melvil Poupaud (Louis Vuillard), qui est plus ou moins l'incarnation du réalisateur, rôle certainement malaisé (pour ne pas dire difficile) à tenir, s'en tire convenablement. Le rôle qu'il a à jouer n'est pas particulièrement sympathique et Poupaud nous le rend tel. Je cite encore deux comédiens (impossible de les citer tous) : Golshifteh Farahani, qui joue Faunia, la femme de Louis V., est très bien ; et Max Baissette de Malglaive (Joseph, le jeune fils d'Alice V.) a un regard d'une extraordinaire brillance (que j'espère naturelle).

Louis et Alice (Poupaud et Cotillard) sont le frère et la soeur Vuillard. Il y a un deuxième frère Fidèle (Benjamin Siksou), le plus jeune de la fratrie. Il fait le lien entre le frère et la soeur qui, pendant presque tout le film, se haïssent. Zwy/Timsit sert aussi à faire le lien.

J'ai dit que la réalisation et le jeu des acteurs étaient bons. Les images et la musique sont plutôt bien aussi. Ce qui donne de bonnes scènes, de bonnes séquences. Je ne vais pas les égrener ni les détailler. Vous verrez bien.

Ce qui ne va pas, là où le film pèche, c'est dans son scénario. C'est mon point de vue, en tout cas. On a un frère et une soeur qui se haïssent, pour le spectateur de façon inexplicable. Cette haine est révélée, hurlée dès la première scène et redite, rejouée, répétée pendant quelque chose comme 80 des 108 minutes que dure le film, mais on ne sait pas pourquoi. Personne, ni la proche famille (les parents, le frère) ni les amis, ne sait véritablement pourquoi. Elle, Alice, est une actrice reconnue et admirée (elle a d'ailleurs une adoratrice pour qui elle est un vrai dieu) ; lui (Louis) est un écrivain primé, mais qui, depuis vingt ans, vit en paria, dans un bled perdu du côté de Toulouse, c'est à dire à 8 ou 900 km de Lille-Roubaix-Tourcoing qui est le lieu autour duquel gravitent tous les Vuillard, là où tous ont grandi, vieilli (Louis aussi, mais seulement durant ses trois premières décennies).

Et le frère et la soeur, qui se sont ignorés et vomis pendant des années, sont contraints de se recroiser parce que leurs parents ont eu un grave accident de voiture et sont mourants. On n'a le fin mot de cette haine entre frère et soeur que dans les toutes dernières scènes du film. Pourquoi se réconcilient-ils alors ? Le scénario ne nous le dit pas. Pourquoi étaient-ils brouillés à mort et pourquoi ne le sont-ils plus ? Parce qu'il fallait bien donner une fin au film.

C'est entendu, le scénario nous chuchote, discrètement, le motif de cette longue brouille haineuse, lors d'une scène amenée d'ailleurs assez ridiculement (car le déshabillage total de Louis à ce moment-là est ridicule, invraisemblable). Mais tout indulgent et admiratif que je sois envers Desplechin, cette histoire d'inceste entre la soeur aînée et le frère puîné, je la trouve assez peu crédible, et de toute façon, même si des relations incestueuses peuvent finalement engendrer un mélange de honte et de haine, pourquoi la croûte formée par le durcissement de ces deux sentiments mêlés disparaîtrait-elle soudainement ? Du fait d'une catharsis provoquée par la mise en terre de leurs deux parents ? Que la réconciliation entre Alice et Louis intervienne dans ces circonstances, personnellement je n'y ai pas cru. Et les deux scène finales (Louis renouant avec le professorat, et Alice partant se changer les idées en Afrique noire) m'ont semblé, pour l'une, plate et, pour l'autre, incongrue.

Je résume : le scénario est déficient, mais tout le reste est bon. Et ça donne quand même un très bon film. Un très bon film un peu boiteux.