Fritzi éclot sous le charme bucolique des contes pour enfants, des animaux parcourant la forêt saxonne accompagnés par une musique disneyenne. Au sein de cette nature immuable, un mouvement de caméra laisse apparaître le rideau de fer qui sépare la RDA et la RFA. Frontière retenant les aspirations libertaires des Est-allemands, son caractère infranchissable s’impose tragiquement par un coup de feu entendu au loin qui étrangle la quiétude originelle. La réalité rattrape cette utopie sylvestre et impose une temporalité lugubre : celle de l’été 1989 dans une RDA paranoïaque. Malgré cela, l’Allemagne de l’Est se dessine ensuite sous les yeux candides de Fritzi, jeune collégienne à la sortie d’une enfance pure et innocente. Avec sa meilleure amie Sophie, elles vivent encore dans le cocon de l’âge tendre ne voyant dans l’Ouest que la possibilité d’obtenir du Coca-Cola.
Fritzi bascule lorsque l’inséparable duo se dissout dans les aléas de l’Histoire. Pour les vacances d’été, la famille de Sophie quitte Leipzig en direction de la Hongrie et confie leur chien Spoutnik – ajouté dans l’adaptation du roman illustré Fritzi war dabei signé par Hanna Schott et Gerda Raidt – à la famille de Fritzi. Néanmoins, à la rentrée scolaire, Sophie est toujours absente. Alors que les rumeurs grossissent autour d’une fuite à l’Ouest, le monde de Fritzi s’écroule progressivement. Dans l’univers de la jeune fille, apparaissent alors des personnages hostiles comme la professeure sévère et injuste Mme Liesegang ou les sournois agents de la Stasi, soigneusement représentés sous les traits d’une seule et même personne au visage passe-partout. Par ces personnages, le film d’animation explicite avec habilité les mécanismes de contrôle sociétal d’un régime totalitaire transformant le réel à sa guise, à l’instar de cette frontière servant à « empêcher les gens de rentrer en RDA ».
Face à la propagande de ces personnages antagonistes, la quête individualiste de Fritzi cherchant à revoir son amie Sophie se meut au fur et à mesure en un combat populaire pour la liberté. Fritzi est avant tout l’histoire d’une révolution où le destin d’une pré-adolescente rentre en écho avec les vies sacrifiées de milliers d’habitant.e.s de Leipzig. À travers son camarade Bela, Fritzi découvre les réunions politiques clandestines de l’église Nicolas. Retraçant l’histoire de la révolte populaire de Leipzig, l’œuvre de Matthias Bruhn et Ralf Kukula place son intrépide protagoniste au cœur de l’action. Elle devient le symbole d’un peuple allemand uni dans une aspiration commune à une vie meilleure. Les deux réalisateurs procurent à la jeunesse une héroïne à laquelle s’identifier, offrant par sa perspicacité et sa fougue une manière ludique d’appréhender le politique.
Ode à la nécessité d’un combat pour et par le peuple, Fritzi est une œuvre intelligente et ambitieuse qui permet aux jeunes spectateur.rice.s (dès 10 ans) de s’emparer de l’histoire européenne contemporaine. Sans manichéisme, le long-métrage d’animation perçoit avec justesse l’ambivalence des comportements humains, notamment au sein de la familiale de Fritzi perdue entre une nécessaire sécurité dictée par la peur et une vitale envie de liberté inspirée par la témérité de la jeune adolescente. Un goût de révolution pour toute la famille !