Il était une fois ... le sentimentalisme
La nuit du 1er Janvier 2009, une bavure policière ôte la vie d’Oscar Grant – jeune homme noir de 22 ans – à la Station de Fruitvale Station (San Francisco). Le long-métrage de Ryan Coogler narre les dernières vingt-quatre heures d’un homme devenu martyr. Un fait réel à l’américaine dont s’empare le jeune réalisateur pour son premier film. Une audace qui paie puisque l’œuvre devient « la sensation » de Sundace remportant sur son passage l’adhésion du jury (Grand Prix) et des spectateurs (Prix du Public). Une réussite presque naturelle dans un pays qui préfère ériger en martyr des hommes plutôt que de se questionner sur les dérives qui ont causé leur mort. Fruitvale Station est une œuvre marquetée pour les Etats-Unis, alors pourquoi remporte-t-il également 2 prix à dernier Festival de Deauville (Prix du Public, Prix de la révélation cartier) ?
Simplement parce qu’il suffit seulement de lire le synopsis de Fruitvale Station pour sentir en soi une affliction face à la fragilité de la vie, une révolte face aux dérapages qu’entraîne le délit de faciès. Ryan Coogler a déjà asservi le spectateur à sa cause avant même que l’œuvre ne démarre en projetant les véritables images, filmées avec un portable, de la bavure. Un coup de feu retenti, l’écran devient noir, le titre du film apparaît. Le souffle du spectateur est coupé, absorbé par la réalité. Le réalisateur projette le spectateur dans la société ghettoïsée de San Francisco dans laquelle une population noire déambule dans la misère portée par l’espoir qu’ils ont en Dieu et en Oprah Winfrey – les deux figures tutélaires des noirs américains. C’est le temps de la fiction qui démarre avec son lot de sentimentalisme parfois sauvé par la justesse des comédiens aussi bien confirmés (Octavia Spencer) que débutants (Michael B. Jordan, Mélonie Diaz).
Fruitvale station devient alors un récit hagiographique autour de la figure fantasmée d’un noir américain exemplaire poussé à enfreindre la loi pour contrer les inégalités qui gangrènent la société. S’il est dealer, c’est parce qu’il ne peut trouver d’emploi (étant sans diplôme). S’il menace physiquement son ancien employeur, c’est parce qu’il est poussé à bout par la société. Le film devient un plaidoyer ridicule cherchant à faire d’Oscar la victime parfaite d’un complot sociétal. Il doit devenir la figure du père modèle étant présent pour sa fille, de l’époux attentionné et du fils aimant. Un mélange qui lui fait perdre toute humanité pour devenir un personnage avec autant d’envergure que les princes Disney. Fruitvale station tombe alors complètement dans l’absurde en essayant de lui ajouter l’étiquette du rédempteur : comment expliquer rationnellement qu’il balance une quantité importante de drogue (sur une musique touchante) quelques minutes seulement avant une transaction ? Ce comportement n’est aucunement réaliste, tout comme la réaction du client qui le comprend et soutient presque son geste. Oscar n’est que le pantin d’un réalisateur moraliste et utopiste qui le fait même caresser un chien errant qui mourra renversé quelques secondes après sur une musique dégoulinante de bons sentiments.
Le jeune réalisateur parvient cependant à créer une tension intense lors de sa reconstitution de la bavure policière. Mais est-elle vraiment le fruit de sa caméra ou du talent des comédiens ? Et si seulement, Fruitvale Station pouvait se clore sur l’horreur qui parcoure la société américaine. Mais Ryan Coogler préfère continuer le pathos et tenter de sauver son messie. Une tentative inutile – puisque le spectateur en connait déjà l’issue – qui ne permet que de montrer que les acteurs savent (bien) pleurer et qu’un noir peut être médecin.
Pour affliger une dernière fois son spectateur, Ryan Coogler achève Fruitvale Station avec un retour à une dure réalité : les véritables images d’une commémoration pour Oscar durant laquelle sa jeune fille pleure. Une utilisation tellement grotesque sans doute rajouté pour faire pleurer les plus récalcitrants d’entre nous.
Fruitvale Station est l’archétype même du sentimentalisme américain, néanmoins Ryan Coogler montre à travers certaines scènes qu’il est potentiellement un réalisateur (de la tension) et qu’il dirige ses comédiens avec réussite.