Pas juste "Encore un film sur Hollywood"... mais un peu, quand même
Parfois, le concept d'un film est plus intéressant que le film en lui-même. Ce qui fait, par exemple, l'intérêt et la réussite d'un film comme "La Classe Américaine"(1), ce n'est pas tant son détournement mal élevé des images des icônes hollywoodiennes que le fait que les doubleurs officiels aient accepté de jouer pleinement le jeu. Entendre John Wayne passer tout un métrage à débiter d'horribles insanités est particulièrement jouissif et l'on sent que Raymond Loyer, son doubleur officiel, s'est fait plaisir, qu'il y a presque une forme d'exorcisme dans la démarche.
"Full Frontal" est un film qui fonctionne de la même manière: c'est le contexte dans lequel il a été tourné qui fait son intérêt. Voici la "note d'intention" que le réalisateur avait glissé dans chaque exemplaire du scénario à l'intention des acteurs et qu'il avait humblement nommé "10 Commandements":
«1) Tous les lieux de tournage seront situés en extérieur ou dans des endroits "réels".
2) Vous vous rendrez par vos propres moyens sur les lieux de tournage. Si vous êtes dans l'incapacité de venir par vous-même, un chauffeur viendra vous prendre, mais vous passerez vraiment pour quelqu'un de ridicule. De plus, vous devrez venir non-accompagné sur le tournage.
3) Il n'y a pas de cantine ou de service de restauration. Vous devrez donc arriver sur le plateau rassasié, et avec vos repas. Les plats varieront en qualité.
4) Vous apporterez et soignerez vous-mêmes vos costumes et tenues.
5) Vous créerez et effectuerez vous-mêmes vos coiffures et maquillages.
6) Il n'y aura pas de caravanes. Le studio essaiera de mettre à votre disposition une aire de repos près des lieux de tournage, mais ne comptez pas là-dessus. Si vous avez besoin d'être seul, vous êtes plutôt "mal barrés".
7) L'improvisation sera encouragée.
8) Vous serez interviewé à propos de votre personnage. Ce document pourra être inclus dans le film.
9) Vous serez interviewé à propos des autres personnages. Ce document pourra être inclus dans le film.
10) Vous vous amuserez, que vous le vouliez ou non.
Si l'une de ces règles vous pose un problème, arrêtez de lire dès maintenant et renvoyez ce scénario d'où il vient.»
Soderbergh venant de rebooster sa carrière avec "Erin Brockovich", Julia Roberts vient se prêter au jeu, ainsi que Brad Pitt, Catherine Keener, entre autres, et un David Duchovny jouant déjà un personnage de gros queutard bien avant "Californication"(et ce serait bien qu'un jour ou l'autre, on réalise que le personnage de Fox Mulder dans "X-Files" n'était pas tellement "propre", lui non plus).
Le film est une énième représentation des rencontres et interactions entre gens du milieu du cinéma à Los Angeles. L'improvisation et la spontanéité étant de rigueur (et les acteurs pas tous bons), ce n'est pas toujours réussi. Beaucoup moins, en tout cas, que dans le génialissime "Timecode"(2) de Mike Figgis, sorti un an auparavant.
Ce qui fait l'intérêt de "Full Frontal", c'est le point de vue que pose le réalisateur sur "ces gens du milieu". Depuis son premier film("Sexe, mensonges et vidéo"), Soderbergh aime filmer des personnages qui parlent d'eux, se confient à un autre personnage. A Hollywood, on est amené à rencontrer de nouvelles personnes chaque jour et Soderbergh montre la façon dont ces personnages se "présentent" aux autres constamment et du décalage entre ce qu'ils sont réellement et ce qu'ils ont envie de montrer. Des personnages en représentation constante et leur obsession de l'impression qu'ils ont envie de laisser à la personne face à elle. Tout cela est mis en parallèle avec l'irréalité des relations humaines du "film dans le film".
J'ai trouvé cette vidéo sur youtube qui est une petite analyse vidéo du film(pour les anglophones) qui développe bien mieux que moi le point de vue du film:
http://www.youtube.com/watch?v=ixAxaiQJ2f0
(1) http://www.senscritique.com/film/La_Classe_americaine_le_grand_detournement/365314
(2) http://www.senscritique.com/film/Time_Code/414980