La société actuelle est individualiste, je ne vous apprend rien. Par conséquent, nous travaillons tous les jours pour tenter de s'approcher de notre idéal du bonheur, de façon à nous sentir le mieux possible dans ce monde, de moins en moins fait pour nous, les humains. Êtres sensés dotés d'une raison … ou pas. Est-on vraiment en sécurité ? L'énergie que nous dépensons pour protéger nos enfants, femmes, maris est-elle nécessaire ? Cela empêche t-il vraiment deux jeunes garçons de rentrer chez nous pour tuer toute notre famille ?
Dans Funny Games U.S. film sorti en 2007, Michael Haneke pose toutes ces questions en prenant littéralement en otage le spectateur dans sa réflexion. Le film se déroule dans le monde immaculé d'une famille américaine entamant leurs vacances estivales. À peine arrivés, débarquent deux énergumènes venus les prendre en otage et les tuer sans aucune raison. Le spectateur est pris dans ce huis clos oppressant où les lignes entre fiction et réalité sont brouillées, où le jeu d'acteur se confond avec le funny game des jeunes hommes.
Les première minutes du film nous plongent tout de suite dans un univers immaculé. Les costumes, le décor, les personnages : tout rappelle l'ambiance tranquille du début des vacances. La famille, visiblement riche et heureuse connait la maison par cœur, les garçons vont faire du bateau, la mère prépare le diner. Haneke établit un climat paisible avec précision pour que le spectateur puisse se situer parfaitement dans la maison. Les gros plans sur les clubs de golf, le couteau dans le bateau, la viande dans la cuisine apportent une tension latente qui nous contamine tout de suite. On est tout de suite piégé avec les personnages.
Peter et Tom sont les éléments perturbateurs attendus, ils sont habillés pareil mais ils ont deux attitudes distinctes. Peter domine Tom, ce dernier est un peu niais, peu sûr de lui. Ils sont en accord avec le décor, ce qui paraît rassurant et entretien un certain suspens. L'attitude oppressante de Peter (il répète toujours les mêmes questions) pousse d'une part Ann (Naomi Watts) à bout, et d'autre part le spectateur qui ne peut rien faire d'autre que de respecter son rôle d'observateur, il assiste à la tuerie dans l'incapacité d'agir. Un jeu est un divertissement. Et un divertissement, par définition, ne doit pas avoir de raison valable pour être. Le jeu de Peter et Tom n'a donc pas de raison d'être et pourtant, il est. C'est là que réside la jouissance de Peter et Tom, le plaisir qu'ils ressentent en jouant. L'absence de raison.
Le titre du film annonce le thème. Tout ceci n'a pas de sens et pourtant ça existe puisqu'on le voit se dérouler à l'écran. Où est l'homme de raison dans tout ça ? La raison est censée être ce qui nous distingue de l'animal, et pourtant Peter et Tom démontrent que l'on peut agir irraisonnablement sans pour autant se comporter comme un animal.
Lorsqu'Ann a l'occasion de se défendre et tue Tom, Peter cherche frénétiquement la télécommande pour pouvoir revenir en arrière. Haneke nous rappelle que tout ceci est bel et bien un film. Afin de montrer que cela nous est destiné, en tant que spectateur. Le jeu (de Peter et Tom) rencontre le jeu (d'acteurs). Le spectateur n'a d'autre choix que de prendre part à la tuerie, puisque Peter lui parle, le piège se referme sur le spectateur comme il s'est fermé sur la famille. Une confusion s'installe donc immédiatement dans l'esprit du spectateur entre le « pour de faux » du film, et celui du jeu.
Haneke pense que le métier de réalisateur est sadique car il permet de prendre en otage les spectateurs pendant au moins une heure et demie sans leur offrir possibilité de répondre ou de protester. Au contraire, puisqu'ils payent pour être enfermés avec la vision d'un homme qu'il ne rencontreront probablement jamais. Dans Funny Games U.S il va au bout cette pensée en faisant savoir que les personnages ont conscience de notre présence. Cette prise d'otage extrêmement violente, motivée par rien et ne laissant entrevoir aucune issue, fait écho à ses attaques terroristes qui ont frappés Paris vendredi 13 Novembre 2015. L'apparition de cette nouvelle forme de violence amène de nombreuse questions, Haneke en met une en lumière ici particulièrement : est-ce nous (notre société) qui avons créer ces comportements ?