Furiosa frappe, évidemment, là où personne ne l’attendait. George Miller a toujours su nous surprendre et s’affirme tel l’un des seuls artistes à offrir de véritables suites pensées comme des films à part entière et non comme de simples produits dérivés. Son intelligence réside ici dans l’autodérision avec laquelle il déconstruit Fury Road (2015), exhibant l’élaboration de plusieurs véhicules à partir de pièces détachées récupérées sur on ne sait quelles épaves, insérant l’antagoniste augmenté par la gonflette dans un monster truck avec des roues aussi grosses que, dixit, ses valseuses ! L’action apparaît d’abord par un prisme masculin, explicité par le travestissement en homme de notre héroïne à la tête rasée et emmitouflée dans un foulard ; un détail hilarant n’est autre que l’assemblage de fléaux d’armes qui pendent derrière le semi-remorque baptisé War Rig, testicules symboliques que le nain dégénéré ne sait pas activer – il finira d’ailleurs par agrémenter une cargaison de légumes... La caméra privilégie, pour Furiosa, les plans captés sous le véhicule, dans un anonymat divulguant une puissance aussitôt exprimée aussitôt iconisée.
C’est à ce moment que la trajectoire poursuivie par Miller se dévoile : celle de l’écriture, et donc de l’avènement d’un mythe. Ou plutôt la reconquête de sa propre histoire, d’abord sous l’aspect d’une vengeance, ensuite sous celle d’une métamorphose. La mémoire trouve son allégorie en la figure de ce vieux sage jalonnant tous les chapitres du long métrage, cet être sans âge à la peau gravée de diverses inscriptions qui conserve les traces – pour ne pas dire les stigmates – des exactions antérieures à même d’être déformées et racontées telle une légende dorée. Cette mémoire cutanée, Furiosa l’arrache elle-même alors qu’un plan quelques minutes plus tôt annonçait la perte du bras par collision entre deux véhicules. La clausule choisit l’épanorthose, c’est-à-dire la rectification réitérée d’un discours qui laisse entendre des versions (erronées) du mythe, pour composer une puissante et répugnante image biblique qui dessine une boucle narrative, motif circulaire par ailleurs omniprésent, depuis les trous où vivent des cannibales jusqu’au globe oculaire manquant, sans oublier les rondes effectuées par les motards. De la déchéance humaine, explorée dans tous ses paradoxes sadiques et burlesques, naîtra toujours un arbre de vie, acte de foi placé par George Miller en l’homme et en particulier dans les générations à venir.
Une telle brillance, prolongement logique de la réflexion menée dans Three Thousand Years of Longing (2022), se subordonne à une exécution parfaite de l’action, féminisée avec intelligence et servie par d’excellents acteurs, Anya Taylor-Joy en tête. Une œuvre magistrale signée par un grand cinéaste.