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Un film sur la notion de mythe. Réflexion sur la scène introductive du film.

« Les mythes sont morts, toute mythologie est un mensonge ; la violence est crue dépourvue de grandeur et de noblesse ». C’est ce postulat moderne, sec et réaliste qui est illustré par les premières images de Fury, film écrit et réalisé par David Ayer, et paru en salle en 2014.


C’est en effet d’un univers d’apocalypse, de tanks et de corps calcinés, cimetière des éléphants dans la brume, que surgit un cavalier germanique, fringuant, à l’élégance martiale. Son pas est paisible, son allure sure au milieu de la mort et du chaos. Ce cavalier et sa blanche monture, par un contraste saisissant avec leur environnement ténébreux, incarnent la puissance, la maîtrise, la grandeur. Ils sont une sorte de réactualisation du chevalier sur son destrier, on peut penser au Chevalier à la croisée des chemins de Vasnetsov (1882). Ils perdent assurément toute portée réaliste et ce pour verser à plein dans le symbolique. Il s’agit en effet d’y voir l’allégorie d’une cavalerie idéalisée chargeant sabre au clair, le symbole d’une guerre soi-disant glorieuse ; cette même guerre des anciens temps dont Renoir constatait l’inanité et la totale disparition dans la Grande Illusion. A ce dernier spectre d’une époque fantasmé, un GI ne laissera aucune chance et, surgissant des flammes d’un monstre de fer, l’égorgera sans sommation, avec toute la violence animale possible. Surgi de la modernité pour accomplir un acte animal, ce GI ramasse en lui toute la démarche d’Ayer.
On pourrait croire que cette démarche se résumerait à l’anéantissement de toute idéalisation et de toute mythologie guerrière par la mise à mort de symboles récurrents et faciles : on commence par le cavalier teuton, on en viendra au char tigre. Mais l’espace cinématographique est par essence mythologique et le pousser au réalisme est une course vaine. Ayer en a pleinement conscience et il ne déconstruira une mythologie guerrière que pour nous en proposer une bien plus universelle.
En effet Ayer ne peut sortir de l’espace mythologique, car il s’enferme dans un paradoxe formel crucial : lorsque War Daddy, incarné par Brad Pitt, expédie à coup de lame ce centaure-symbole, ce mythe désuet et attendu, il accomplit forcément un acte lui-même symbolique. Malgré lui, War Daddy devient à son tour un symbole : l’allégorie est contagieuse. Symbole de la violence animale qui réside en chaque homme, de la modernité chaotique ou bien de la capacité émancipatrice de l’homme qui libère l’animal de son licol ? Ayer n’offre alors que ses pistes subsidiaires.
En un mot, le moyen trahit l’intention : on ne peut déraciner une mythologie par le recours au symbole fondement même de cette dernière ; ou en d’autres termes quiconque s’attaque à un symbole est condamné à en devenir un à son tour.


C’est donc bien au-delà de la nature de la guerre, mais sur celle des mythes et de l’humanité que nous entraîne et nous interroge Ayer. Qu’est-ce qu’une mythologie ? Quelle en est la source, l’énergie vive ? Toute mythologie est-elle nécessairement emprisonnée dans le paradoxe suivant : offrir une vision mensongère et illusoire d’un monde qu’elle est censée éclairer et décrypter ? Enfin qu’est-ce que l’humain ? La guerre devient le support d’une quête philosophique.


Chevalier à la croisée des chemins, Vasnetsov, 1882

PedroLe_Jardinier
10

Créée

le 29 oct. 2016

Critique lue 208 fois

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