Pour son deuxième long-métrage doublement primé à la Semaine de la Critique de Cannes 2017, le réalisateur brésilien Felippe Barbosa nous dévoile le parcours atypique de son ami d’enfance Gabriel Buchman, un jeune homme à la fois candide et arrogant, issu de la haute bourgeoisie brésilienne qui, pour se sentir vivant, avait décidé de partir à la découverte du monde. La cohabitation et les rapports entre les différentes classes sociales étaient déjà au cœur de son premier film Casa Grande en 2014. Encore une fois, c’est sans brusquerie mais au contraire avec un récit empreint de tendresse que, par un compte à rebours efficace, il revient sur les 70 derniers jours de celui qui a laissé un souvenir indélébile à tous ceux qui l’ont croisé.


Le film ne fait aucun mystère du destin tragique de Gabriel, puisqu’ à travers un somptueux panoramique d’ouverture qui installe un suspense qui ne nous quittera plus tout au long du film, on suit le cheminement de deux ouvriers agricoles, qui, alors qu’ils coupent de l’herbe dans un champ, découvrent le corps sans vie du jeune aventurier disparu depuis plusieurs semaines.


C’est ainsi que le récit nous invite à partir sur les traces de cet idéaliste décidé à côtoyer la pauvreté au plus près pour mieux l’appréhender. Il voyage sans argent ou presque, est capable de nouer des liens immédiats avec les autochtones et de s’adapter à leurs coutumes avec un tel désir de se fondre dans le paysage qu’il en frôle parfois le ridicule. Son enthousiasme forcené, son naturel enjoué et son allure éternellement trépidante le transforment en lutin clownesque mais authentique, sur lequel le réalisateur, à coup de scènes cocasses et joyeuses, pose un regard bienveillant et moqueur. Au cœur des superbes paysages d’Afrique (Kénya, Tanzanie, Zambie et les chutes Victoria et Malawi), on célèbre tout en douceur l’amitié réciproque et l’abolition des différences sociales et ethniques. Toujours bercé par sa soif de paix et de monde idéal, il écrit à sa famille : « Je voyage comme j’ai toujours rêvé, de manière non touristique.... »


Pourtant, l’arrivée de son amie Cristina dévoile quelques failles insondables en nous révélant une autre facette de la personnalité de notre héros. Ensemble, ils reprennent leurs discussions sur l’économie, leurs habitudes d’Occidentaux entendant obtenir en temps et en heure tout ce qu’ils désirent, n’hésitant pas à revendiquer tout naturellement leur supériorité d’ « hommes blancs ». C’est bien cette arrogance et cet excès d’assurance qui inciteront le jeune homme à balayer d’un revers de la main les conseils de prudence et l’aide pleine de sagesse de ses compagnons africains lors de l’ascension du Mont Mulanje et le conduiront au pire. Pourtant, et c’est bien là la force de cette étude de caractère, tous ceux qui l’ont connu ne gardent que des souvenirs chaleureux et émus de leur rencontre avec cet homme blanc à nul autre pareil et dont la personnalité hors du commun les ont marqués à tout jamais. Leurs témoignages vibrants de sincérité font agréablement basculer cette fiction vers le documentaire et donnent pleinement son sens à cette odyssée fatale. Les deux comédiens principaux, confondants de justesse, se fondent habilement dans ce tableau admirablement filmé riche d’un kaléidoscope d’émotions. Gabriel cherchait à vivre et il a trouvé la mort. Cette histoire délicate et sensible sur l’ambiguïté des êtres et leur besoin de liberté à la vie, à la mort le ressuscite avec générosité.

John_May
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le 26 août 2017

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John May

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