Gabriel et la montagne peint avec justesse la soif absolue d’authenticité du jeune étudiant backpacker fauché des années 2010 qui, persuadé d’inventer une nouvelle manière de de s’immerger dans un pays en gravissant le Kilimandjaro en sandales de cuir et en battant les épis de maïs au fléau, finit par n’être qu’un gênant cliché de lui-même : jamais très loin de son Lonely Planet, il s’auto-congratule de savoir dire « merci » en swahili et n’hésite pas à insulter « l’autochtone » car il n’a pas vu le troupeau de gnous promis sur la brochure. Bref, la grande-gueule du safari qu’on préfèrerait savoir dans le 4x4 d’à côté. Car l’aventure de Gabriel n’est bel et bien qu’un Pékin Express égocentrique qui s’apparente davantage à une fuite personelle qu’à une quelconque démarche altruiste ou humaniste – le personnage sans relief de Christina n’hésitera d’ailleurs pas à souligner ce point, avant de se faire violemment rembarrer par son amoureux et se terrer dans un mutisme admiratif jusqu’à la fin du séjour. Notre jeune Gabriel ne semble absolument pas se préoccuper des réalités sociales alors qu’il dénonce un tourisme aux tendances colonialistes duquel il ne s’éloigne en réalité que peu. Pour cette raison, les réactions de ses rencontres de voyage à l’annonce de sa mort, qui ponctuent le film et sont pourtant bel et bien tirées du réel, sonnent terriblement faux. Comme si la regrettable mort du jeune homme imposait à tout prix de béatifier sa démarche.


Merci donc au réalisateur de remettre (sans le vouloir ?) à sa place ce jeune homme un peu trop sûr de lui, mais cet argument mérite-t-il un long-métrage de deux heures vingt-et-une minutes ? Peut-être, dans la mesure où il est couplé à la reconstitution d’un fait divers tragique. Malheureusement, l’issue mortelle du voyage, unique garant de l’intensité dramatique du film, n’est quasiment pas exploitée. Là où le film 127 heures tentait par exemple une réflexion sur la notion de survie en n’épargnant au spectateur aucune des étapes de la souffrance de James Franco, Fellipe Barbosa bâcle en quelques minutes la « fin du voyage », réduite à la dégustation d’une ultime banane avant le sommeil définitif.


Avec quoi ressort-on finalement de ce moment de cinéma ? Là où le journal Le Monde parle sans nuance de « magie, de cérémonial, de liaison avec l’outre-monde, d’invocation des esprits » et vante « l’enthousiasme prométhéen de Gabriel » ; pour notre part, on se dit juste qu’on irait bien faire un tour en Afrique Australe, mais qu’on se paiera une bonne auberge avant l’ascension du mont Mulanje.

GuillaumeKervern
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le 3 sept. 2017

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