Jay Roach est décidément un étonnant contemplateur satirique de la société américaine, depuis une position politiquement très acerbe, si l'on l'évalue à l'aulne de quelques-unes de ses récentes productions : Dalton Trumbo, Scandale (Bombshell), et ce Game Change qui retraçait 4 ans après la campagne présidentielle américaine de 2008 le parcours de l'incroyable Sarah Palin. Et alors que l'on garde bien en tête l'interminable liste des boulettes et des prises de position vaseuses du gouverneur d'Alaska plus d'une décennie plus tard, le réalisateur américain y accorde une attention tout à fait étonnante, à la faveur d'un portrait incroyablement pondéré au regard de la personnalité de son sujet.
"Primary difference being Sarah Palin can't name a Supreme Court decision, whereas Barack Obama was a constitutional law professor."
Il ne sera jamais question de se moquer du manque (voire de l'absence totale) de discernement de Palin qui se manifeste constamment, au détour de quelque question que ce soit ayant trait à autre chose que la thématique de l'énergie en Alaska. Confusion entre Al-Qaïda et le régime de Saddam Hussein, incapacité de distinguer l'Irak de l'Afghanistan, positions créationnistes abracadabrantesque, appel à la haine d'Obama sous prétexte qu'il serait Arabe, inculture totale... Les angles d'attaque ne manquent pas pour s'adonner à un dégommage en règle, et pourtant Jay Roach ne cherchera jamais vraiment à ridiculiser Palin au-delà du strict minimum inévitable. Au contraire, une certaine empathie se crée autour de ce personnage méprisé par beaucoup, y compris dans son entourage professionnel proche. Car là n'est pas vraiment le point focal du biopic.
"There's a dark side to American populism. Some people win elections tapping into it. I'm not one of those people."
L'élection présidentielle n'est en réalité qu'un prétexte, une période de catalyse durant laquelle le jeu des communicants (très bien incarnés par Woody Harrelson et Sarah Paulson) peut se voir au grand jour plus qu'à n'importe quel autre moment. Cela relève de l'évidence : les représentants politiques sont castés comme le seraient des stars, et ils deviennent le réceptacle de discours et de "pensées", définis par une foule sous-jacente, qu'ils se contentent de régurgiter du mieux qu'ils peuvent. Dans ce jeu de marionnettistes, Julianne Moore excelle dans le rôle de Sarah Palin (incroyable) et Ed Harris dans celui de McCain ne dépareille pas. Elle l'hystérique inconsistante et instable, lui le conservateur cultivé et apaisé — en totale contradiction avec la radicalisation de son parti. Rarement ai-je vu un tel bouillonnement depuis l'intérieur de la machine électorale, avec l'illustration cataclysmique du décalage abyssal qui peut exister entre l'assurance affichée des candidats en toutes circonstances, de manière presque obligatoire, et la complexité alliée à la diversité des sujets qu'ils entendent maîtriser.
"No news story lasts more than 48 hours any more. News is no longer meant to be remembered. It's just entertainment."
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