"On cesse d'être en sécurité dès qu'on passe la porte d'un commissariat"
La garde à vue a été inventée pour contourner les droits de la défense. C'est l'atout dans la manche de l'enquêteur qui n'a que de maigres indices contre le prévenu, mais qui peut les transformer en un aveu après un éprouvant interrogatoire. C'est une procédure héritée de l'époque où l'enquêteur servait aussi de juge, et où la notion de respect des libertés individuelles passait nécessairement après les intérêts de l'enquête.
Il faut attendre 1897 et le scandale de Panama pour que les élites politiques, comprenant que cette procédure pouvait aussi être utilisée contre eux, décident de permettre à l'avocat d'assister à la garde à vue. Malgré cette mesure, la garde à vue reste une procédure fondamentalement défavorable au prévenu.
Ainsi en 1981, près d'un siècle plus tard, Claude Miller réalise "Garde à Vue". Il s'agit d'un huit-clos mettant en scène l'inspecteur Gallien (Lino Ventura, fantastique) et le notaire Martinaud (Michel Serrault, meilleur encore), dans un duel psychologique d'une intensité rare. Maître Martinaud est en effet soupçonné d'avoir violé et assassiné deux fillettes et l'inspecteur Gallien est bien déterminé à le prouver. Commence donc un interrogatoire sous haute tension, dans lequel chaque protagoniste tente de piéger l'autre en le confrontant à ses propres contradictions.
Claude Miller nous présente ici un véritable réquisitoire contre la garde à vue : épuisé, tenu dans l'ignorance, Martinaud comprend bien vite que la partie est perdue d'avance. Même ce "putain de règlement" selon les termes de l'inspecteur Gallien et de son collègue Berthond, ne suffit pas à protéger le pauvre notaire de toute atteinte physique à sa personne.
La maîtrise du huit-clos est excellente : dans un petit bureau, les policiers tournent autour du prévenu comme des fauves autour d'une proie. Seuls les policiers peuvent s'évader de cette pièce exiguë et oppressante, pour aller interroger des témoins comme la femme du notaire (Romi Schneider, bluffante). Ainsi le prévenu est emprisonné avant même d'avoir été jugé...
Pour autant, ce n'est pas la police qui est critiquée par Claude Miller : Gallien est un bon flic, soucieux d'obtenir la vérité. Il n'est pas à l'abri du doute : "Quand je suis devant lui, je suis moins sur". Il est lui même sous contrainte : son supérieur attend des résultats dans les plus brefs délais, et se montre impitoyable à la moindre bavure. C'est tout un système tordu qui est dénoncé ici.
Je ne peux reprocher au film qu'un certain manque de subtilité dans son dénouement. j'aurais préféré une fin un peu plus ambiguë, et un peu moins brutale. Cela dit, devant un film impeccable techniquement, qui allie des acteurs talentueux aux dialogues excellentissimes de Michel Audiard, suis-je vraiment en droit de me plaindre ?
En guise de conclusion à cette critique, une simple question : ce film est-il toujours d'actualité ?
Après moult condamnations par la Cour Européenne des Droits de l'Homme, la France a fini par promulguer une loi en 2011 qui rend obligatoire la notification au prévenu de son droit de garder le silence. Je vous conseille d'ailleurs, si vous vous retrouvez un jour placé en garde à vue, de vous taire et d'attendre votre avocat. Ne jouez pas au malin comme le malheureux Martinaud. Que vous soyez coupable ou non, vous êtes présumé innocent avant votre condamnation, et vous avez le droit, comme tout le monde, à une justice équitable.
Ce droit est hélas trop souvent bafoué. Encore aujourd'hui, le recours à l'avocat peut être écarté dans le cas d'une "impossibilité matérielle". On assiste donc parfois à des situations où des avocats sont convoqués pour des gardes à vue à 3h du matin, afin de les pousser à ne pas venir. Tous les éléments du dossier ne sont pas encore communiqués au prévenu au cours de la procédure. Il y a donc toujours des progrès à faire et je pense, en ce qui me concerne, que ce film n'a rien perdu de son actualité.