"Dans tout ça, on n'apparaît pas, on se contente d'être là ..."

Gare du Nord est un film déstabilisant parce qu'il ne choisit jamais complètement sa forme, oscillant entre la chronique d'anonymes et le portrait de quelques personnages, triés sur le volet dont on ne saura jamais rien d'autre que ce qui les relient à la gare du Nord mais aussi entre eux. Le film s'il se cache derrière une forme de réalisme n'est pas un documentaire puisque Claire Simon en a réalisé un vrai sur cette gare ("Géographie Humaine") dont elle reproduit ici l'essence. Les bruits qu'elle capte, les histoires qu'elle raconte, elle les a sélectionnés soigneusement. Elle ne se contente plus ici de poser sa caméra et d'attendre mais de faire de ce lieu un personnage, étrange, fantomatique et même fantastique. Les grands escalators qui permettent d'accéder aux différents étages deviennent un élément cinématographique à part entière, esthétique. Ils ne sont plus qu'un moyen d'aller vers autre part mais un lieu de rencontre où Ismaël suit des anonymes dans le cadre d'une enquête pour la RATP. Ce boulot-là n'est pour lui qu'un prétexte pour parler de la gare qu'il veut comme une "place du village global". Dans ce fouillis de voyageurs, il croise une femme un peu pressée qui va vite devenir une alliée, une obsession. Cette femme-là est reliée à la gare par la maladie, c'est un lieu de transit entre les soins qu'elle reçoit et son domicile qu'on ne verra pas, puisqu'on reste strictement dans le périmètre de la gare, mais dont on apercevra des brides vers la fin du film (avec son mari). Ces deux-là, sans s'en rendre compte, et sans qu'on ait besoin de comprendre pourquoi, commencent à s'aimer, à se désirer. Les deux acteurs, Nicole Garcia et le lumineux Reda Kateb, ont la pudeur et l'excellence de ne rien surjouer. Qu'on y croit ou pas, peu importe, c'est là, sous nos yeux. Ils se cherchent, se perdent, se retrouvent et la gare devient comme un labyrinthe géant pour amour contrarié. Si le film est plutôt noir, cette petite histoire-là est comme un souffle. Au milieu de nulle part, ils essaient quelque chose, et c'est simplement beau.

De la gare, Claire Simon capte des bruits, des visages, des absurdités, ces moments où plus rien ne va, où rien ne semble vrai. Mais elle fait aussi de ce lieu un endroit d'où chaque être fini par disparaître, s'évaporer. De ce constat, elle se permet une fantaisie : instaurer du fantastique dans la réalité fantasmagorique qu'elle dépeint. Les pages des livres s'effacent, les vieux monsieurs s'évaporent, des jeunes files prétendent parler avec l'au-delà. Au milieu de ce chaos que Claire Simon s'amuse à dénouer et à renouer dans un va-et-vient constant, deux autres figures se détachent : une jeune agent immobilier en transit (dans sa vie, comme par le train) qui se perd dans la gare et tente de s'accrocher. Monia Chokri donne ce qu'il faut d'étrangeté à ce personnage qui fait le lien entre tous. Le plus perdu, le moins relié aux autres (et un peu plus maladroitement écrit), c'est ce père - présentateur vedette - qui cherche désespérément sa fille. On ne sait plus si c'est François Damiens qui joue ou si c'est François Damiens qui est là, tout simplement. La réalisatrice joue avec cette ambiguïté tout le long du film.

Au final, quand plus rien ne les maintiens dans la gare, quand celle-ci a été un temps plus désorganisée qu'elle ne l'est d'ordinaire, ils partent, ils quittent enfin le lieu et on ne les verra plus. Ont-ils vraiment existé ? La question reste en suspens. Ismaël est là ,sans savoir pourquoi, avec cette impression d'être au cœur du monde mais aussi de n'être nulle part, de faire du surplace. Prendre un train ce n'est pas forcément avancer, n'en prendre aucun devient étouffant à force de nous maintenir en place bien qu'au milieu d'une diversité de visages et de corps mais aussi d'histoires. De cette gare, Claire Simon capte une essence, dans de longs plans aériens, dans la foule, comme au plus près des figures qu'elle dessine. Si son rythme n'est pas toujours maîtrisé, son dispositif a une originalité certaine. Sa caméra erre, elle aussi, mais tente de trouver des pistes, de donner à voir, à sentir, à ressentir. Le récit, s'il paraît conventionnel, est tout de suite éclaté car le vrai sujet, le titre nous le confirme, c'est elle, cette gare, où tout se passe, où tout s'écrit et dont Ismaël devient le passeur éphémère. Les âmes restent emprisonnées dans un lieu qui devient étrange, où tous passent, sans vraiment passer et d'où, comme dans la scène d'ouverture de "Bird People", 1000 destins s'écrivent et s'effacent aussitôt avec cette impression tenace que quelqu'un, quelque part, nous attend. Le film est au cœur de l'humain, sans jamais vraiment le sonder à fond car, en captant des brides de vie, des instants, des moments, il devient le lieu idéal pour écrire la vie. Qui sait peut être que c'est de là, de ce centre névralgique que partent toutes les vies. Et dire qu'il suffit de louper un train pour bouleverser toute une vie...

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le 13 déc. 2014

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eloch

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