Difficile de s’attaquer à une telle œuvre que ce Gabtsy de Fitzgerald tant le roman jouit d’une popularité et d’une unanimité critique qui n’a cessé de croître avec les années. Mais malgré son statut, il est assez étonnant de voir si peu le cinéma s’emparait de ce récit qui semble pourtant parfaitement s’adapter à ce médium tant par sa longueur et son contenu. Beaucoup moins étonnant par contre de voir Baz Luhrmann aux commandes de cette adaptation, lui qui ne rate jamais une occasion de nous montrer quelques belles gueules d’Hollywood festoyer d’allégresse, chantant ou pas, toujours avec bon goût.
Et des fêtes dans ce film il y en a mais du bon goût beaucoup moins. Et c’est ce qui saute aux yeux dès lors que le film s’emballe c’est à dire à peu près pendant tout sa première partie. A l’aspect classe mais libéré des razzias qu’organise Gatsby, dont Fitzgerald dépeins leurs vacuité dans le roman, se dessinent des immenses orgies criardes sur fond de musique pop des années 2000 et évoquant plus des Spring break californiens que des réelles fêtes se déroulant pendant les années folles. Où sont passés les rythmes entraînants d’un orchestre de jazz survolté ? (Apparement dans la « Rhapsody in blue » de Gerschwin, tentative vaine et peu convenue à ce moment du film de combler ma question).
Si l’introduction des personnages est plutôt réussie (particulièrement celle de Gatsby en terme de rythme et d’attente, celle de Daisy étant bien étrange) et leurs développements l’étant tout autant, respectant l’intrigue originale, le personnage de Nick Carraway me pose un souci majeur. Hormis le fait que sa romance avec Jordan Baker soit évincée du film, sa transformation en écrivain-témoignant était-elle nécessaire ? A-t-on vraiment besoin d’infantiliser le spectateur à tel point qu’on doit absolument tout clarifier et simplifier ? Oui, Carraway est une projection de Fitzgerald dans le roman, une incarnation de l’écrivain au sens large mais jamais celui ci n’est montré comme tel. Il est celui qui nous narre à travers ses yeux et sa tentative d’objectivité absolue le récit de Gatsby souvent en dressant un parallèle avec sa propre histoire. Il est en réalité un immense personnage puisqu’il est la définition même de ce que représente un auteur. S’efforçant de ne jamais être dans le jugement ni le ressentiment, il s’attelle à sa tâche de conteur de manière didactique et passionnée et n’est pas cette représentation erronée de l’auteur qui agit compulsivement après une visite chez le psychologue.
Si vous avez réussi à passer la première heure du film (et supporter son aspect numérique parfois franchement moche), vous pourriez être surpris par la tournure que prend soudainement le film. Enfin Luhrmann commence à ménager ses effets, à laisser respirer ses acteurs et arrête de garnir son film d’un trop-plein musical. Enfin le film prend un rythme plus digne et le montage semble s’apaiser laissant maintenant les acteurs s’emparer des dialogues avec bien plus de consistance. Pour être honnête, je dois avouer que la tension et la dualité qui émanent des scènes d’affrontement entre Tom Buchanan et Gatsby sont dès lors sublimes. Di Caprio, jusqu’à maintenant plutôt en roue libre, devient tout de suite bien plus convaincant et Edgerton (excellent de bout en bout) est parfait dans son rôle de brute réac et moralisatrice.
Bien que cette version de Gatsby le magnifique à la sauce Hollywoodienne peut tout de même être intéressante sur certains points (les choix esthétiques et artistiques comme les fonds verts ou les mouvements de caméra), reflétant ainsi bien ce que le cinéma américain était devenu suite au raz-de-marée qu’a produit l’arrivée du numérique et de la CGI, elle n’en reste pas moins une tentative de cinéma au combien inégale et qui peine à atteindre la grâce du texte original. Quand bien même le film commence à s’en approcher, Luhrmann nous rappelle qu’il est peut-être un cinéaste adolescent qui peine à porter à l’image un matériau littéraire pourtant si bon.
Au final, avec bientôt 100 d’existence, Le mythe de Gatsby continue de fasciner et de nourrir l’imaginaire des artistes contemporains. N’ayant jamais vraiment réussi à trouver un cinéaste qui porterait l’histoire de ce personnage éternellement au cinéma comme la littérature l’a porté, on s’attriste un peu de voir cette version et on s’acquitterait bien de ce désarroi en sirotant un bon verre de Whisky avec Jay et en partageant sa mélancolie.
Ainsi Gatsby révulse, Gatsby passionne, mais surtout, Gatsby subsiste.