Sur la table devant lui, pour le déjeuner : Une boite de thon, une omelette et des bananes. L’idée pour Moullet, après avoir décortiqué l’anatomie des rapports sexuels dans son précédent film, c’est de savoir d’où vient ce que l’on mange. De savoir VRAIMENT d’où vient ce qu’il mange. De connaître la chaine industrielle et à fortiori les mécanismes du capitalisme qui ont conduit ce thon, cette omelette et ces bananes dans son assiette.
Et Moullet fait du Moullet, qu’il touche comme ici à un sujet disons plus grave, plus complexe. Il est aussi drôle que sérieux, aussi léger que glaçant. Et prophétique tant le film est encore très actuel, tant il dénonce la mondialisation, l’exploitation des pays du Tiers monde par les pays riches, celles des salariés par les gérants de firmes, le tout avec la simplicité d’un regard d’enfant, qui part de son assiette et remonte le temps. C’est un voyage dans le temps, Genèse d’un repas. Il faut trouver où le thon a été pêché, l’œuf pondu, la banane cueillie.
C’est un film-enquête. Une immersion dans le système mercantile. Grossistes, importateurs, fabriquants, ouvriers, Moullet ira interviewer tout le monde. Ira comparer les conditions de travail en France et en Amérique du sud. Filmera les femmes sous-payées, les dockers équatoriens de dix ans. Cette quête absolue du profit au détriment des conditions des travailleurs. Il découvre que l’on peut pêcher du thon à Dakar, le préparer à Dakar, le mettre en boite à Dakar puis le vendre en France en l’étiquetant « Pêcheur breton ». L’autre boite qui annonce clairement sa provenance de Cote d’Ivoire se vend moins bien, nous annonce ce responsable de supermarché.
Moullet oblige, le film s’ouvre sur une note d’intention très pragmatique, visant à rappeler que le projet est né d’une simple interrogation et que le CNC donna quarante millions de centimes à Moullet pour y répondre. Et il se ferme sur un constat amer et franc, de politique néo-colonialiste, qui consiste à dire qu’on est tous l’exploiteur de quelqu’un, que c’est en consommant qu’on exploite, lui le premier, énumérant tout ce qui lui permit de fabriquer ce film : La joue de bœuf et le pétrole pour la pellicule, les interviewés payés différemment qu’il soit équatorien, sénégalais ou français etc. Film génial.