Quel plus beau texte John Huston pouvait-il adapter au cinéma pour son film testament que cette nouvelle de Joyce, The Dead que l'on traduira selon par Les Morts ou Le Mort ?
Le scénario tient en très peu de choses : Dublin, 1904. Gabriel Conroy et sa femme Gretta (interprétée par la propre fille de John Huston, Anjelica) se rendent à un repas organisé, comme chaque année, par les soeurs Julia et Kate Morkan. Sont conviés des proches, des élèves de l'école de musique, leur professeur et chacun se doit de jouer sa partition qu'elle soit musicale ou conversationnelle. A cette occasion, Gabriel prend conscience que tout ce petit monde non seulement est en sursis, car il s'agit pour la plupart de personnes âgées, mais qu'en quelque sorte tout ce à quoi il assiste est déjà mort. Que tous ces invités, ces figures familières, sont figés dans une éternelle répétition des mêmes codes, des mêmes habitudes, des mêmes rituels. Le regard à la fois affectueux et résigné que Gabriel porte sur ces gens qu'il aime mais qui sont déjà "morts-vivants" répond en miroir à celui de Huston qui sait qu'il s'agit ici de son dernier film. Gabriel va poursuivre sa vie tandis que les personnages de son histoire vont disparaitre / Huston va bientôt disparaitre laissant continuer seuls les personnages de son film.


Les Morts donc, mais il y a aussi le Mort. Celui qui arrive à la toute fin de l'histoire lorsque Gabriel découvre que sa femme a continué à aimer, secrètement, un jeune homme qu'elle avait fréquenté dans sa jeunesse et que la maladie avait emporté. La scène durant laquelle Gretta se fige dans l'escalier alors que Bartell d'Arcy, le ténor invité par tante Julia, entame la chanson "Lass of Aughrim" est d'une grande finesse. John Huston réussit à saisir ce moment précis où se produit un véritable bouleversement intérieur mais quasi invisible chez Gretta. En effet, cette vieille balade irlandaise renvoie à un amour ancien. Cette stupeur, ce moment qui s'éternise entre présent et passé, cette sensation éminemment personnelle et profonde, que Joyce qualifiera d’épiphanie c'est à dire au sens religieux, la Révélation, est très difficile à mettre en scène cinématographiquement. C'est pourtant ce que réussit le réalisateur américain en mettant en scène sa propre fille, Anjelica, dans cet escalier du temps qui se fige.


Le film se conclut avec la même force, la même émotion que le texte de Joyce, Gabriel Conroy regardant par la fenêtre les paysages couvert de neige de l'Irlande tandis que sa femme s'endort en sanglotant et que résonnent les derniers mots de la nouvelle, dans le texte original en anglais, que je compte parmi les plus beaux de la littérature.


9/10

Theloma
9
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le 6 janv. 2018

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Theloma

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