Il y a des profils de films qui, même quand vous vous en défendez, vous font un peu plus peur que d’autres. Il y a une expression, un peu galvaudée depuis le temps, sous laquelle on les regroupe souvent : l’appellation “film de festival”. Ces films longs comme un jour sans pain, chiants comme un été sans soleil qui portent des “sujets forts” traités avec pompe ou misérabilisme. Le pitch de Gente de Bien, coproduction franco-colombienne (la réalisateur Franco Lolli est un ancien étudiant de la Fémis) présentée à la Semaine de la Critique, fait partie de ces idées de scénario qui portent quelque peu les atours du film de festival. Un jeune garçon de dix ans doit apprendre à vivre seul avec son père, un homme qu’il ne connaît quasiment pas et confronté à la misère de la société colombienne pauvre.
Incommunicabilité entre les êtres, enfant confronté aux drames du monde des grands, chronique de la misère sociale… en apparence, la barque de Gente de Bien a l’air assez chargée. Au moins Gente de Bien choisit-il de prendre un léger contre-pied en s’orientant vers la légèreté et la lumière. Comme son titre l’annonce, le film met en scène des personnages dans l’ensemble bons, ou du moins qui s’efforcent de l’être. Le père du jeune Bryan, interprété par Carlos Fernando Perez, sorte de fusion de Sixto Rodriguez et Eric Elmosnino, est un homme digne, souvent trop fier pour s’abaisser à tout et n’importe quoi et obsédé par la perspective d’offrir une bonne vie à son fils. Il travaille dans la maison d’une famille bourgeoise, où il retape des meubles. Sa propriétaire, généreuse, se prend d’affection pour lui et pour son fils et essaie de tout faire pour les aider, quitte à parfois à trop en faire inconsciemment. Quant au petit Bryan, son apparence dure voire vulgaire (il s’adonne à plusieurs reprises à de longues tirades d’insultes, rares accès de violence dans un film dans l’ensemble très doux) se fissure rapidement pour laisser entrevoir la fierté blessé d’un enfant qui a un peu honte de sa situation.
Sans angélisme, le film illustre les irrémédiables différences de classes sociales qui existent dans chaque société. Peu importe la meilleure volonté de ceux qui essaient d’en briser les barrières, elles existent et perdurent, et la cohabitation entre les deux mondes est à terme impossible. Ce postulat réaliste et pessimiste n’empêche le film de louer la bonté de ses personnages sans aucun cynisme ni même de second degré. Le résultat est donc au final assez agréable et suscite une forme de sympathie bienveillante devant les intentions de Franco Lolli. Il n’empêche cependant qu’à force de rechercher constamment le bien, Gente de Bien se désincarne quelque peu pour n’être au final qu’un aimable petit film vite vu et vite oublié. Malgré toute la meilleure volonté du monde, on a du mal à rester passionné de bout en bout devant un film dont les enjeux s’effilochent peu à peu.
Gente de Bien est un film aimable, dont la simplicité plaisante permet une respiration festivalière toujours bienvenue. Harmonieux dans sa construction et honnête jusqu’au bout dans sa démarche empathique (la séquence finale, qu’on ne dévoilera pas, fait tout de même son petit effet), le film reste néanmoins un exercice mineur lorsqu’on le replace dans la sélection d’ensemble de la Semaine de la Critique. Pour un premier long-métrage, Franco Lolli pose des jalons intéressants qui méritent qu’on garde un œil sur ses futurs projets. Mais parfois comme le dit le dicton, le mieux est l’ennemi du bien.