Germinal
6.8
Germinal

Film de Yves Allégret (1963)

Sur la modeste tombe, au mois de Germinal, l’églantine éclora… Printemps, renaissance, ESPOIR aussi : la Vérité est en marche, rien ne pourra l’arrêter.

Par une nuit noire que l’on ressent glaciale et que trouent ça et là des braseros, un pas se fait entendre, crissant sur le sol gelé, avant que n’apparaisse en gros plan le visage hâve d’un homme jeune, dont la fine moustache noire accentue la pâleur.

Dans l’urgence, Etienne Lantier interroge un vieux charbonnier -Maheu dit « Bonnemort »

pour avoir échappé par trois fois à la Grande Faucheuse- sur l’embauche à la mine.

-T’étais aux chemins de fer ? Si t’es jamais descendu, cherche autre chose !
-J’ai marché toute la nuit, j’ai faim et j’ai plus un sou.
- Bon, j’ai fini mes 12 heures, suis-moi : on va voir si le fils a déjà remplacé la herscheuse qui a passé.

Montsou, petit village du Nord : il est 4 heures du matin, Catherine Maheu, la fille aînée, promène déjà dans la maison sa silhouette androgyne d’adolescente : bras nus, une longue tresse blonde dans le dos, elle s’active sans répit, préparant une maigre soupe, réveillant son père et ses frères, douce et ferme à la fois, maternelle et protectrice du haut de son jeune âge.

Pas question de chômer : les uns se lèvent quand les autres se couchent.

« Chacun son tour » profère, satisfait, le grand-père, s’arrogeant la place encore chaude dans le lit de son petit-fils.

Au puits du Voreux, décrit par Zola comme un « dieu repu et accroupi, auquel dix mille affamés donnent leur chair, sans le connaître», c’est avec une fierté presque palpable que la jeune fille initie Etienne au dur travail de la mine, s’enorgueillissant, comme une enfant, de son expérience, mais confessant, avec une ingénuité touchante, à ce beau garçon au regard franc, qu’elle « ne sait pas lire ».

Jour après jour, le jeune ouvrier, découvre la vie harassante des mineurs de fond à 600 mètres sous terre ou dans les corons, face à la pression des patrons, qui en demandent toujours plus et payent toujours moins.

Bernard Blier, que l’on retrouve sanglé dans une redingote cossue, incarne, avec un cynisme glaçant, Hennebeau, le Directeur : visage fermé et impénétrable, il oppose une fin de non recevoir aux mineurs que Lantier, syndicaliste convaincu, révolté par l’injustice sociale dont il est le témoin au quotidien, est parvenu à convaincre d’aller trouver.

L’occasion aussi, pour le réalisateur, de dresser le tableau, plutôt réussi, de deux classes sociales que tout oppose : nantis et miséreux.

À Madame Hennebeau, archétype de la bourgeoise insensible qui trompe et méprise son mari, les parfums musqués dans la soie et le velours, à La Maheude, usée par les maternités et les privations, le savon noir, les chairs molles et anémiées et toujours, l’angoisse du lendemain.

Misère effroyable où le spectre de la famine fait de toute femme ou fille dans le besoin, une proie consentante, à son corps défendant, en témoigne la scène nauséabonde à l’épicerie du village, où l’abject Maigrat, dégoulinant d’hypocrisie mielleuse et de sous-entendus salaces, fait entendre à La Maheude aux abois, venue avec ses deux petits, que le panier plein n’attend plus que Catherine…

On comprend d'ores et déjà que l’épicier honni va cristalliser sur lui toute la haine de ces femmes exploitées, de ces filles violées, de ces mères abusées, garantes de la survie d’une famille, les transformant, lors du pillage de la boutique, en des louves affamées, avides et insatiables, qui se déchaînent dans un déferlement de violence incontrôlée, après des années d’humiliations subies en silence.

C’est d’ailleurs dans les mouvements de foule que le cinéaste se révèle le meilleur, une façon d’exprimer sa solidarité à ces damnés de la terre : ouvriers en grève, immobiles devant les puits, envahissement de la mine rivale , intervention et fusillade de la force armée, autant d’images très fortes, travaillées dans des gris et noirs, qui ne sont pas sans rappeler les gravures d’époque.

Toutefois le film ne se contente pas de traiter le fait social, Yves Allégret, très sensible aussi, comme il le dit, à « l’admirable histoire d’amour » entre Catherine Maheu et Etienne Lantier, a tenu à donner vie au fait humain.

Superbe séquence, où, après l’éboulement tragique de la mine, provoqué par le sabotage de Souvarine, réfugié russe et anarchiste notoire, Catherine, Chaval son amant, et Lantier, se retrouvent bloqués au fond du puits.

Deux hommes amoureux d’une même femme et la haine flamboyante et sauvage de celui qui s’estime lésé, injustement dépossédé de son « bien », car le rustre Chaval et ses colères mauvaises, sa jalousie brutale et son égoïsme de mâle (excellent Claude Brasseur) n’a toujours vu en Catherine qu’un objet de plaisir et une source de revenu.

L’affrontement est inévitable : le trio a fait long feu et c’est pourtant dans ce cadre tragique que Catherine, désormais seule face à Etienne, ose enfin lui avouer son amour avec ses mots de petite fille :

« Tu es beau, Etienne, tu es beau, avant je ne pouvais pas te le dire...»

Une scène d’une infinie douceur, riche d’un aveu dont la pureté le dispute à l’intensité, servie par l’interprétation juste et vibrante d’émotion des deux jeunes acteurs de l’époque : le séduisant Jean Sorel et la gracieuse Berthe Granval aux faux airs languides de Marina Vlady.

Adapté fidèlement du roman de Zola, le film, s’il n’a pu, et c’est bien normal, en rendre toute la richesse, a su en respecter l’esprit, nous faisant revivre, grâce à un beau travail de reconstitution solide et exigeant et la flamme de ses acteurs, l’histoire d’un mouvement de grève avec ses folles bousculades de mineurs, agités par la colère ou portés par un formidable élan de solidarité envers d’innocentes victimes du métier, de la haine ou de la fatalité.

Aurea

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65
74

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