Couleurs, vous êtes des larmes, couleurs, vous êtes des pleurs

Entendons-nous bien, Get out est un film d'épouvante assez réussi.

Je m'attendais à une atmosphère malsaine et j'ai là un authentique film d'épouvante qui ne finit pas dans le sadisme et la démence. Si les scènes violentes et sanguinolentes ne sont pas absentes, elles n'interviennent pas inopportunément et ne constituent qu'une toute petite partie de l'action. L'auteur joue essentiellement sur la suggestion et le fantasme pour créer la tension, ainsi que sur le doute et le contraste. On peut cependant lui reprocher d'avoir bâclé la fin pour la réduire à un récit de BD simpliste où le douanier joue un rôle ridiculement caricatural, alors que la mise en place de l'intrigue appelait à un dénouement plus subtil. La chute est également ratée.


Le problème du film, selon moi, est idéologique et, partant, social. Nous avons là un film raciste en négatif. On a reproché au dessinateur Dany un filtre raciste dans sa manière de représenter les noirs. Si l'intention n'était peut-être pas raciste chez ce vieux belge de 82 ans, sa culture qui datait de la période colonisatrice l'était certainement, ne serait-ce que passivement. Quoi qu'il en soit, l'incapacité de Dany à s'en défendre sonne comme un aveu d'intégrer des notions racistes dans son rapport esthétique aux noirs.

Chez Jordan Peele, réalisateur de Get out, c'est la perversité inverse qui se produit. Issu d'une culture qui a subi le racisme, il fabrique une histoire concluant que les noirs n'ont rien à faire avec les blancs. Ces derniers, quand ils semblent être gentils avec les noirs, sont en fait abominablement hypocrites et leur apparente gentillesse n'est qu'un traquenard destiné à les faire tomber plus aisément dans le piège de la soumission raciale la plus dégradante. Et cela, apprend-on dans le film, par ce que les blancs convoitent les performances physiques des noirs (sic !). Cette dernière hypothèse, au passage, valide l'idée issue de blancs authentiquement racistes que les noirs seraient physiquement supérieurs aux blancs (mais aussi intellectuellement inférieurs) ce qui les placerait dans le rôle de chaînon manquant entre le singe et l'être humain moderne et triomphant ; par ailleurs il s'agit d'une idée proche du spécisme.


Outre cet exercice de racisme anti-blancs (et aussi anti-jaunes !) nauséabond et socialement dangereux dans nos pays peuplés d'humains aux origines multiples, je soupçonne Jordan Peele de nous soumettre à des inspirations vaudou, peut-être galvanisées par son goût pour l'univers de Lovecraft. En effet, "noirs de peau, blancs de coeur",

les seuls noirs vivants parmi les blancs dans le film, sont en réalité des "esprits" de blancs transplantés possédant des corps de noirs piégés et innocents que la lumière "divine" (en l'occurrence celle d'un flash d'appareil photo) libère de leur possession maligne.

Or cet élément fantastique, inoffensif au premier abord, doit être observé dans la perspective de la très forte inclination des noirs américains pour la religion, l'interprétation mystique devenant alors complice d'une considération paranoïaque faisant des noirs les victimes expiatoires d'une sorte de conspiration suprémaciste de tous les blancs. On évite d'ailleurs lâchement dans ce cas d'évoquer la place des métis...

Cet aspect déplorablement suspect d'une volonté d'établir une ségrégation "positive" entre noirs et blancs, élaborée lentement et depuis plus d'un siècle dans la communauté noire américaine opprimée, gâche la capacité qu'aurait eu ce film de dénoncer les relations racistes. Intention à laquelle j'avais naïvement cru dans les premières minutes en contemplant les rapports amoureux émouvants entre le jeune noir et la jeune blanche.

Demandons-nous d'ailleurs dans quelle mesure un tel processus accusatoire doctrinaire n'a pas nourri un ressentiment rétrograde contre les "woke", ces réprouvés des années 2010-2020 constitué d'"afro-américains" auto-proclamés d'une part et de personnes revendiquant une identité sexuelle anticonformiste d'autre part, dans une société qui a perdu le contact avec ses idéaux de tolérance et de progrès, comme le triomphe de Trump l'a prouvé.


Las ! Il nous faut encore tristement chanter avec Guy Béart "Couleurs, vous êtes des larmes, couleurs, vous êtes des pleurs".

Edonor
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il y a 3 jours

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