Il est très difficile pour moi d'être objectif concernant Ghost in The Shell sachant que les films de Mamoru Oshii et la formidable série Stand Alone Complex ont été de véritables traumatismes geek qui ont marqué mon imaginaire de manière indélébile et qui sont rentrés dans mon panthéon personnel...
Je considérais donc ce projet d'adaptation (qui date de plus de dix ans) avec beaucoup de méfiance et je fourbissais mes armes, prêt à dézinguer les malandrins qui entreprendraient de s'attaquer à cette oeuvre mythique. Pourtant à la vision des premières images et de la déférence apparente des producteurs vis à vis du matériau d'origine ainsi que de la bienveillance d'Oshii vis à vis du projet, je m'y suis mis à y croire (un peu). D'autant que la polémique ridicule autour du "whitewashing" éludait à mon sens, la seule question vraiment pertinente au sujet de cette adaptation : l'essence de Ghost in The Shell survivrait-elle à la moulinette hollywoodienne malgré le classement tout public du métrage.
Malgré un carton explicatif balourd (annonciateur de la catastrophe avec le recul...), l'introduction du film qui reprend la sublime "Shelling sequence" de 1995 (sans la cultissime musique de Kenji Kawai mais admettons...) donne un peu d'espoir pour la suite. Malheureusement, on se rend compte dès la séquence suivante que ce qui peut être considéré comme un hommage le temps d'une scène devient un pompage bête et méchant témoignant d'un manque cruel d'imagination lorsqu'on considère le film dans son ensemble.
C'est simple, cette adaptation reprend absolument TOUT les morceaux de bravoure des films d'Oshii (la baston en combinaison furtive dans la flotte, la fusillade chez les yakuzas, le combat contre le tank spider...) et ce au plan près sans jamais chercher à les transcender. Malgré une direction artistique assez originale (mais parasitée par quelques CGI immondes) qui restitue bien le gigantisme urbain et le cosmopolitisme de la saga (le décor du repère de Kuze est de loin le plus réussit), le film de Rupert Sanders s’approprie le matériau de base sans jamais en saisir la substantifique moelle.
Les exemples sont légions mais on prendra celui du traitement du major (Scarlett Johansson transparente) et de ses collègues de la section 9. En effet, les partenaires de Kusanagi qui sont initialement d’anciens cyborgs militaires surentrainés (à l’exception d’Aramaki et de Togusa, seuls « humains » du groupe, un élément clé expédié lors d’une unique ligne de dialogue chez Sanders…) œuvrant à la limite de la légalité, deviennent ici une bande de sidekicks désincarnés (oui, oui même Batou…).
En outre, le traitement du major est particulièrement édifiant dans la mesure où sa nature exceptionnelle est sans cesse mise en avant et qu’à ce titre, le récit minore non seulement la personnalité mais aussi les capacités tactiques de ses petits camarades qui sont réduis à une sorte de GIGN sous prozac dont le rôle politique et stratégique n’est jamais abordé.
Ainsi, la véritable nature de cette adaptation live se révèle sous nos yeux : celle d’une péloche opportuniste qui capitalise sur l’imagerie mythique des chefs d’œuvres originels mais qui en évacue absolument toute la dimension politique, sociale et métaphysique. On comprend parfaitement que la richesse des monologues philosophiques extrêmement pointus et référencés d’Oshii ne puisse pas être totalement restituée mais la voir diluée, simplifiée et maltraitée dans des dialogues sans saveur fait mal…
De plus, la quête identitaire du major se résume ici à une resucée faisandée du mythe de Frankenstein et à un crossover foireux entre Jason Bourne et Robocop. L’impression de voir un remake cyberpunk du film de Paul Verhoeven est d’ailleurs particulièrement prégnante avec la thématique éculée de la vilaine corporation capitaliste qui manipule des êtres humains pour en faire des robots.
Enfin, cette tentative insidieuse qui consiste à apposer les codes formels et narratifs du film de super-héros façon Disney / Marvel sur un univers adulte et foisonnant, finit par agacer. En témoigne, le monologue final de l’héroïne qui semble tout droit sorti d’un mauvais Spiderman (en gros ce sont nos actes qui nous définissent…bravo pour la profondeur de l’écriture !).
Au final, j’aurai préféré voir les Américains écrire une histoire totalement inédite plutôt que de piller sans vergogne le travail de Mamoru Oshii et de Kenji Kamiyama en l’édulcorant et en le standardisant au maximum.
Cette adaptation sera donc un long chemin de croix pour les fans hardcore qui pleureront toutes les larmes de leurs corps devant ce massacre en règle et ce ne sont pas une direction artistique soignée ni la badass attitude de « Beat »Takeshi Kitano qui les consoleront.
Pour les autres, il restera un thriller mou du genou en forme de manifeste cyberpunk pour les nuls. Dans le genre autant revoir la trilogie Matrix dont les auteurs ont au passage bien mieux compris Ghost in The Shell que ceux de cette purge…