Le documentaire en animation est un exercice qui, encore aujourd'hui, est vu comme une expérience curieuse que peu ont encore testé, mais qui tend à se démocratiser et à se développer à l'avenir. L'un des seuls souvenirs que j'ai du visionnage de documentaire animé reste My Favorite War d'Ilze Burkuvska Jacobsen, un documentaire sur l'enfance en Lettonie entre la fin des années 60 et la chute de l'URSS que j'ai pu connaitre que grâce au fait que le film avait gagné le grand prix contrechamp 2020. Les derniers exemples les plus parlant de documentaires en animation restent Valse avec Bachir d'Ari Folman, ou encore Flee de Jonas Poher Rasmussen, énorme succès au festival du film d'animation d'Annecy 2021 qui avait récolté trois nominations aux Oscars, une première. Pourtant, malgré le palmarès et le buzz que peuvent susciter ces derniers films, j'ai toujours eu du mal à faire confiance à ce type de cinéma et à ces films en particuliers car les sujets ne m'étaient pas familiers, et car ils me paraissent encore aujourd'hui trop lié à une tendance au cinéma misérabiliste (avec des films comme Dounia princesse d'Alep, La traversée, Parvanah une enfance en afghanistan et avec en point d'orgue Ma Famille Afghane) que je trouvais particulièrement douteuse. J'avais du mal à voir le cinéma d'animation documentaire dans un prisme autre que celui du voyage et du portrait d'une culture étrangère dont on se focalise sur les problèmes. Pourtant, je me suis laissé tenté au visionnage de Gigi.
Le film étant une mise en image d'un témoignage, on pourrait craindre un dispositif qui peut rapidement rencontrer ses limites et n'être qu'un enregistrement sonore qu'on habillerait d'une animation purement illustrative. Pourtant, grâce à de fines idées de mises en scènes et de représentation, notamment tout le travail entre la transidentité et l'hybridation de la créature marine (qu'on pouvait déjà retrouver dans Luca d'Enrico Casarosa) qui découle des souvenirs de Gigi vis-à-vis du film La Petite Sirène, le film arrive à trouver son propre langage et ses propres manières de s'exprimer. On se retrouve entre le récit docu-fictionnel à la Memoir of a Snail, avec des influences à La Linea, où un personnage centrale va pour vivre des aventures et sa vie, mais sera assisté par une force supérieure pour l'aider à avancer ou, dans le cas présent, va l'aider à illustrer ses souvenirs. On sent que la réalisatrice prend une place de mère de substitution pour Gigi afin d'illustrer et de l'aider à avancer dans sa transformation et le regard qu'elle porte sur sa personne. La mère de Gigi a eu une place importante durant son enfance, mais son absence, dû au travail et au voyage vers la capitale, fait qu'elle a dû trouver l'aide de la réalisatrice pour mettre des mots sur sa vie et sa transformation, d'où le court métrage que l'on est amené à regarder. Il y a ainsi une légitimation du récit par la nécessité qu'a Gigi d'avancer dans sa vie, mais aussi un devoir de témoignage par l'image de ce qu'elle même n'arrive peu être pas à imager. Ainsi, toutes les transformations physique de Gigi, de poisson à humain, d'humain à poisson, permettent d'illustrer le mal être intérieur et les difficultés rencontrés dans le parcours de Gigi pour se faire accepter dans des situations nous paraissant anodines, que ce soit en boite de nuit ou même dans un cadre scolaire. Les références et les idées s'enchainent, entre La créature du lagon noir ou même la loi darwinienne, et on ne voit plus tant le temps passer tellement le film arrive à délivrer efficacement et poétiquement un récit poignant et fort, plein de sincérités. Cependant, je rencontre quelques limites avec le court métrage.
Pour ce qui est de mes retenues, je pourrais parler de la séparation picturale que peut avoir Gigi avec le reste du monde qui peut créer une forme d'anormalisation de l'identité de Gigi alors que tout le film se veut pour l'acceptation de Gigi en tant que personne qui peut vivre en société (certaines séparations entre Hommes-poisson et humain sont parfois trop accentuées et cela peut être mal interprétable), mais honnêtement je n'ai pas grand chose à redire mis à part une chose qui dépend de mon rapport avec le court métrage. Pour être honnête avec vous, j'ai vu le court métrage durant une projection de la saison Arte d'Avril 2024 qui s'est tenue à la Cinémathèque, où étaient présenté également Maurice's Bar de Tzor Edery et Tom Prezman, ainsi que La mort du petit cheval de Gabrielle Selnet, et le film a été mon préféré du programme. Touchant, originale, efficace, maitrisé... mais pourtant, j'avais un amer goût que ne m'ont pas procuré les autres, et cela s'est vérifié avec la longévité qu'a eu le film en mémoire. Si je n'ai pas rédigé de critique de Gigi dès ma sortie du film, c'est pour des raisons personnelles, mais aussi car dès le lendemain matin, j'avais du mal à citer ne serait-ce qu'une scène du court métrage. Il y avait bien le climax reprenant l'idée de la lois Darwinienne qui m'avait particulièrement intéressé car très malin et intelligemment pensé, mais cela se résumait à un souvenir vague et imprécis qui soulignait, je pense, une certaine forme d'académisme et de retenu dans lequel tombe le court métrage. Ce n'est qu'en le revoyant, plusieurs mois après, durant la sortie du film sur Arte que j'ai pu ré-apprécier des scènes qui sont fortes, notamment toute la partie sur l'ex, mais restent dans une forme de distanciation et de préservation de l'image de Gigi qui nuit à l'impacte des scènes.
Gigi est un court métrage qui est très réussit, c'est indéniable. C'est beau, c'est inventif, c'est intéressant mais, contrairement à son personnage centrale, le projet manque peu être un peu plus de lâché prise pour que l'on puisse pleinement s'attacher et être marqué d'avantage par un récit qui mérite qu'on s'en souvienne. Cela ne remet en rien en cause les capacités de sa réalisatrice qui peut très largement proposer des choses plus percutante à l'avenir.
14,5/20
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