Il n'est pas rare que les contes, ainsi que les récits de la littérature orale, commence par "il était une fois...", "Il y a bien longtemps" [...] Le temps de la mémoire nous situe dans une longue durée, et permet de nous extirper de la dureté de l'instant, dans une société toujours plus marqué par l'accélération du temps. [...] Le retour à la littérature oral permet une mise en perspective qui, par exemple, va permettre d'inscrire notre propre vie dans la durée, de réfléchir au parcours qui est celui du héros de conte, parcours jalonné par des épreuves. Or, qu'est ce qu'un héros de conte ? Un personnage handicapé à l'origine: parfois petit, sot, chétif. Cependant au terme des épreuves affrontés, grâce aux donateurs, il se ferra une place au soleil, il parviendra au but qu'il s'était fixé, il gagnera l'oiseau de vérité, ou l'eau qui rendra verdeur de vie. Dans ce parcours positif, aux heures sombres de notre vie, nous pouvons puiser dans les contes une énergie nouvelle, car nous savons, au plus noir de la nuit, au bout du compte, il y a une lumière. Cette mise en perspective nous permet de prendre du champ. Elle nous permet aussi d'acquérir la conviction que les difficultés de la vie nous enseigne un art, qui n'est pas mince, celui de la résilience: l'art de naviguer dans les torrents, l'art de faire des épreuves, que nous avons fréquenté, une force. Voila pourquoi on peut puiser dans la littérature orale, une énergie inépuisable.
Bernadette Bricout est une chercheuse, historienne, qui s'est spécialisé dans la littérature orale et du conte. C'est une chercheuse qui s'est longtemps battu pour légitimer l'importance des contes de fée, à une période, pas si lointaine, où les départements d'études littéraires négligeaient et regardaient avec condescendance cette forme littéraire qu'ils ne comprenaient pas. Si je vous paraphrase un extrait d'une de ses nombreuses interventions sur le sujet, c'est parce que Bernadette Bricout met le doigt avec une précision renversante sur un symptôme qui se propage au cinéma, et notamment dans le cinéma d'animation: On néglige les contes et les récits fondateurs. Disney, et par extension toutes les productions voulant faire "comme Disney", surtout récemment, n'a eu de cesse que de moderniser les récits, de créer de la complexité, avec des personnages ne voulant jamais assumer une forme de binarité qui ferrait "trop enfantin" ou "pas assez mature", et une direction artistique voulant que tout soit parfait, dans un réalisme parfois stupide, et un manque de créativité qui, pour ces dernières créations, n'ont pas apportés que des réussites. Malgré tout, s'il y a un studio qui a redonné un espoir, dans le paysage du cinéma d'animation grand publique de plus en plus affecté par la folle course au progrès et à la subversion, c'est paradoxalement DreamWorks. Je dis que c'est paradoxale, dans le sens où DreamWorks a toujours voulu être subversif face aux règles et à la bienséance, donnant parfois des scènes cultes dans une forme de bon goût encore aujourd'hui encré dans la légende. Cependant, il n'est pas surprenant que DreamWorks défend une certaine ligne de conduite et une manière de traiter le conte au cinéma. Avec Shrek, DreamWorks a toujours assumé un rattachement au conte et à la fantaisie qui s'estompera par la suite avec la domination de Disney. Malgré tout, ils ont gardé une certaine manière de penser et de réaliser les films d'animation qui, dernièrement, s'est affirmé et a retrouvé une reconnaissance nouvelle avec un film qui a cassé les codes du genre: Les Bad Guys. Si vous ne l'avez pas vu, foncez, c'est un must see absolue rafraichissant qui vous ferra apprécier un film à l'esthétique nouvelle apporté par la fougue de l'animation française des Gobelin incarné par Pierre Perrifel, et au scénario audacieux pour cette période, le tout revendiquant un retour au source et une émancipation radical et total des codes Disney. Face à une tel proposition, on pouvait s'inquiéter à l'idée d'un Chat Potté 2, mais pour quel résultat ? Une claque monumentale, tout aussi violente voire plus !
Déjà on va évoquer la chose d'entré, le film se voit très bien si on n'a pas vu le précédent film. Ayant vu le film sans avoir vu le précédent film, je vous atteste que c'est possible car tout le film se repose sur le fait d'avoir une légende devant se dépouiller de tout trait superflu, et se remettre en question. De ce postula, on peut prendre le film en ne connaissant juste que la légende du Chat Potté, le personnage du conte, ou en n'ayant juste que l’icône de la pop culture qui est née de la saga Shrek. On va suivre un héros légendaire qui va se confronter aux limites que son corps lui impose, comment il va devoir accepter ces limites, et comment les surpasser tout en gardant un code d'honneur. Si le film s'appelle "La dernière quête", c'est parce que c'est bel et bien la dernière quête du Chat Potté tel qu'on le connait aujourd'hui. Il va prendre de plein fouet les effets du temps, de la société, et de la vie qui vont le pousser à se battre jusqu'à la fin, afin de pouvoir enfin marquer l'histoire tel que l'on est... du moins avec le reste de ce qu'on aura laisser derrière soit. On retrouve le même propos et les mêmes enjeux narratifs que sur Les Bad Guys dans sa manière de portraiturer des légendes, amené à se confronter à leurs débauches, qui finiront par accepter une forme de réalité qu'ils apprendront à passer outre pour mieux vivre. Ensuite, si vous hésitez à voir le film à cause d'un ton enfantin promu dans les bandes annonces, donnez une chance à ce film car rarement vous aurez vu autant de contraste, autant de prise de risque pour un film pour enfant, et surtout, jamais vous aurez vu autant de violence, parfois graphique, à l'écran. Le Chat Potté est un héros sans peur ni remords, qui rigole face à la mort, mais qui, comme le spectateur, va devoir apprendre à avoir peur pour avancer. Dans un monde où les héros sont beaucoup trop parfait, et où on essaye de proposer des films réconfortants mettant artificiellement le spectateur en danger en le confortant dans une safe zone, le film va bousculer le confort du spectateur en lui proposant des scènes où le film te regarde (littéralement) droit dans les yeux, et t'annonce un grand huit émotionnel difficilement oubliable. Certaines scènes sont, pour moi, une première dans le cinéma d'animation grand publique car le film met le spectateur et son héros dans une situation inédite qui pousse le personnage et le spectateur à remettre en cause les limites du récit et de ce qui peut arriver. Donc il n'est pas étonnant de voir des scènes frôlant certaines limites qu'on ne franchit jamais vraiment dans le cinéma d'animation grand public. (pour les curieux vous pouvez regarder cette balise spoil en n'étant pas spoilé, je ne raconte que des éléments artistiques et graphiques, pas des éléments de scénario, mais il est tout de même plus intéressant de les découvrir par soit même, d'où le spoil)
On a des scènes où il y a du sang à l'image, dont une où c'est filmé en gros plan, avec toute la symbolique autour. On a littéralement un personnage qui voit sa limite physique atteinte car, s'il va trop loin, il n'aura pas la magie de l'animation pour le protéger. On nous présente un Chat Potté avec 9 vies et qui, dépouillé de ses 8 premières vies, n'est plus protégé par la magie de l'invulnérabilité propre au dessin animé, et devient alors vulnérable à la mort et à la violence. Le fait même de représenter le Chat Potté en sang est un symbole fort qui créé une tension immédiate car, dès que le Chat Potté croise un ennemis, ce n'est plus un personnage, mais une vrai personne qui peut mourir devant nous. Tout cela d'une manière injuste, dans un réalisme froid qu'on ne veut pas voir car, malgré que le personnage est présenté comme antipathique et arrogant dans la première parti du film, on apprécie ce personnage de conte qui véhicule une image enfantine. Le Chat Potté est alors privé de la magie du conte, la magie de l'animation, afin de lui faire prendre conscience de ses bien faits et de combien cette magie est importante
Le Chat Potté va être confronté au personnage du Loup, figure iconique de la menace dans les contes des trois petits cochons ou du petit chaperon rouge, qui va pousser très loin les limites du Chat Potté et du spectateur à travers des scènes, parfois très osé même pour un spectateur adulte, et va causer un véritable traumatisme au Chat Potté qui va entamer une éternelle fuite en avant. C'est un véritable duel entre le temps et le Chat Potté qui s'entame, avec de nombreuses références au Western pour, d'une part, exposer les différents camps qui se battent et se cherchent durant le film, mais aussi pour souligner, avec une forme de fantaisie et d'humour, la tension qu'il y a entre les personnages, en plus de resituer les enjeux intrinsèque du récit (on y reviendra après). Aidé de ses amis, Le Chat Potté participera à un immense battle royale où les figures du conte se tapent dessus sans retenu avec des chorégraphies spectaculaires et impressionnantes qui laissent rêveur.
Malgré des soucis technique récurent aux films d'animation récent comme un sentiment de frame en moins lorsque l'image est bourré d'élément en mouvement, le film est magnifiquement bien réalisé, avec des graphismes au top et une direction artistique impeccable. Les musiques sont fortes, et surtout, on a un soin particulier aux tableaux et à la photographie. Le film va toujours soigner son image et de ne jamais empiéter, que ce soit au niveau du montage ou de l'éclairage, à la bonne lecture d'une scène. On sent derrière ça une volonté d'épurer au maximum le film afin de ne garder que l'essentiel, et assumer une forme de radicalité qui ne laisse pas de place à la pudeur lorsque, par exemple, le Chat Potté va être victime d'une crise de panique, et qu'il se met à faire une hyperventilation. On peut cependant critiquer, à de très rare fois, surtout à son début, de ne jamais trop aller à fond. Il y a notamment une scène d'enterrement qui pouvait être en plan fixe continue, quasi sans musique ni fioriture, mais qui, pour le jeune publique, va pour ajouter des bulles de flashback qui n'ont malheureusement pas grand intérêt. Malgré tout on peut profiter de la direction artistique, insufflé par Pierre Perrifel dans Les Bad Guys pour apporter un plus au film qui le fait décoller. On a la même envi de se dissocier des productions "trop propre" des films d'animation actuels, qui ne jurent que sur une animation 3D de plus en plus précise, et de revenir à un style plus 2D en retravaillant la 3D avec de la 2D ajouté par dessus, mais aussi en créant une multitude de textures qui pourront donner une épaisseur à l'univers et du contraste. Tout comme Les Bad Guys, avec qui il vient en complémentarité, les graphismes sous entendent plusieurs couches de lectures, tout comme il y a plusieurs couches de graphismes à l'image.
Le film se veut presque comme un complément au film des Bad Guys tant le film dresse en sous texte le même constat méta sur DreamWorks. Quoi de plus représentatif de DreamWorks que la licence Shrek et de son célèbre Chat Potté. A l'image du studio et des Bad Guys, le Chat Potté a connu une période de gloire qu'il aime se remémorer, mais c'est aussi un héros qui est connu extrêmement bas car voulant trop coller au style Disney. On le voit notamment dans sa scène d'ouverture qui cite Coco de Lee Unkrich et Adrian Molina et sa scène de chant à la guitare dans la maison de De La Cruz, avec un Chat Potté qui imite Miguel en lui rendant hommage sans vraiment s'en rendre compte. Le film, tout comme le studio, se veut comme une introspection qui juge les actions de son personnage principale par rapport à une traversé du désert qui lui sera éprouvante, mais bénéfique. La clef qui aidera le Chat Potté (et DreamWorks par la même occasion) à grandir résidera au fait de revenir à la source de ce qui a fait sa splendeur, et de s'entourer de personnes de confiances. J'en ai pas nécessairement parlé en détail, mais le Chat Potté aura besoin d'aide dans sa quête de reconstruction, que cela soit des alliés qu'il faudra convaincre après les avoir une première fois déçu, ou encore un témoin extérieur. Ce témoin extérieur, représentant le jeune spectateur, prend la forme d'un chien ravagé par la haine et le monde extérieur, jamais montré mais sous entendu via une backstory particulièrement trash. On peut y voir, en ce personnage, le portrait d'un public fan du studio et honnête, devenu malade et cinglé à cause d'une société beaucoup trop violente, ne le prenant pas au sérieux, et ne prenant pas en considération sa générosité et son regard d'enfant. Le chien apportera le réconfort dont le Chat Potté a besoin et, grâce à son regard pure et sa générosité, pourra avoir un appui émotionnel et un cap à parcourir. Ce n'est pas tant étonnant si c'est lui qui tient la carte durant le film, et que le voyage n'aura pas le même aspect si celui-ci sera guidé par le Chat Potté ou Patte de velours (ceux qui auront vu le film me comprendront). Tous les personnages sont en quête d'un Mac Guffin réalisant tous les vœux et convoité par tout le monde, notamment Boucle d'or et Little/Big Jack. Ces différents personnages, lorsque l'on prend l'histoire comme un récit introspectif, ces antagonistes affichent alors une double nature. Le Loup, le plus évident, représente la mort, qui se veut comme un Memento Mori ("Souviens-toi que tu vas mourir", ce n'est pas du latin pour faire jolie) personnifié en les traits d'un loup sombre, rappelant qu'il ne faut pas jouer avec la mort. Tout comme Les Bad Guys, Chat Potté 2 rappelle que Disney a pris une place importante dans le voyage initiatique du studio pour devenir le DreamWorks tel qu'on peut le voir aujourd'hui, en la personne de Boucle d'or et de ses ours, qui représente chacun le studio et les différentes part du studio. Le rapprochement avec Disney se fait de manière indirect avec l'écriture des personnages mais aussi leurs but, voulant un monde parfait à l'image d'une réalisation 3D ne voulant pas d'impureté, ou encore de manière moins subtile par rapport au design de Boucle d'or, toujours orné de deux couette en boule (j'ai pas fait des études de coiffure, désolé), qui se rapprocheraient des oreilles de Mickey, surtout lors de sa toute première apparition où elle est filmé de dos, ou encore avec une scène où la maman ours va pour mettre le chapeau de Pinocchio (la chose est accentué au générique lorsque cette scène est reprise pour identifier la maman ours au générique). A travers ces personnages, on voit une famille tiraillée en interne, en proie à des conflits réguliers, et qui cherchent chacun une manière d'être heureux à leurs manière sans réellement trouver un moyen de s'accorder (à l'image du studio Disney dans son histoire, je vous renvois à la très bonne vidéo du cinéclub de Monsieur Bobine à ce sujet), offrant pour moi l'une des meilleurs scènes du film. (pour le coup là c'est vraiment du spoil)
Lorsque Boucle d'or récupère la carte, passé la deuxième épreuve, le monde s'adapte à elle vu qu'elle est en contacte avec elle. La troisième épreuve s'intitule "Forêt de la nostalgie", et renvoit évidemment au rapport personnel qu'entretient le studio aux grandes oreilles à son passé. La famille de Boucle d'or rentre dans ce qu'ils pensent être chez eux, mais Boucle d'or refuse de s'y arrêté, tandis que les ours prennent un malin plaisir de profiter de leurs foyer (fictif ou non). Boucle d'or vois alors sa vie défilé devant ses yeux, ses moments de joies partagés dans le logement des ours, et comment la vie pourrait être plus simple si elle arrêtait de courir à mieux, ou à une famille autre que celle d'adoption, lâchant quelques larmes. Cette scène est splendide, en plus d'être admirablement chorégraphié, et rend hommage, avec nuance, au studio aux grandes oreilles aux travers de personnages qu'on apprendra à apprécier malgré leurs défauts. Il en dégage une forme de poésie lorsqu'on reconnait certaines gimmick de Disney ou de Pixar, lorsque le groupe va pour se disloqué, le temps d'un instant, avant de se retrouver unis face à un ennemis commun. Évidemment, il y a une forme d'ironie lorsque Boucle d'or et les ours sont représentés comme des incapables, mais on sent un réel amour et un réel respect quand, on va s'attarder sur leurs problèmes de familles qui vont se régler, en s'unissant avec le Chat Potté pour tuer Big Jack Horner. DreamWorks envoi un message fort en s'associant métaphoriquement à Disney dans sa scène finale. Contrairement aux Bad Guys, le film apporte plus de nuance et met le doigt sur un responsable autre que Disney, ce qui reflète une forme de maturité. DreamWorks projette un univers fantastique alternatif où les deux studios peuvent se réconcilier face à un ennemis commun, alors qu'ils ont longtemps entretenu une guerre féroce. On voit alors Disney et DreamWorks luttant le corps patronale et bureaucrate du cinéma, incarné par un personnage démesurément gros, jaloux, cupide, odieux, qui produit à la chaine, et qui vérifie la qualité (littéralement) en utilisant son pouce, comme un flemmard lècherai son doigt pour connaitre la bonne décision à prendre. Vu de loin, une tel personnification ressemblerait à une théorie tarabiscoté énoncé par un complotiste énervé, il n'empêche qu'il faut parfois un homme de paille un peu simple d'esprit pour rassembler. Enfin, je profite pour parler de la fin très belle sur l'arrêt du combat entre La mort et Le Chat Potté, soigné de sa dépression et de ses démons. On finit sur un dernier plan où l'équipe prend le large pour retourner aux origines du studio... Encore une fois, une fin lourde de sens
Le Chat Potté 2: La dernière quête est un très beau film, à la réflexion maligne, à l'exécution remarquable, et vous l'aurez très vite compris, c'est un immense coup de cœur personnel qui me conforte dans l'idée que DreamWorks vit un renouveau créatif et artistique remarquable. En espérant que cet élan pourra se préserver à l'avenir, mais pour l'instant, je reste rêveur face à tant de maitrise, car je pense avoir vu un très grand film qu'il me sera très difficile d'oublier.
18/20
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