L’artificialité du film noir est un élément essentiel pour en comprendre le charme. Chez Hawks, on s’en amuse, et elle est constitutive du culot et de l’humour des personnages. Dans Gilda, elle est davantage brandie comme un ressort tragique.
Dans ce trio amoureux on ne peut plus représentatif du genre, les personnages sont liés par une codification très stricte qui ne cesse de leur rappeler les enjeux et les dangers inhérents à leurs actes. Ainsi, par exemple, du domestique qui ne cesse de rappeler au protagoniste en pleine ascension qu’il n’est qu’un « paysan », ou de ce policier qui commente régulièrement l’action et ne perd rien de ses évolutions, à la manière d’un chef de chœur d’une tragédie grecque.
Dans ce monde de la richesse un peu trop facile, où les bandits convergent avec le désir d’écraser la concurrence et jusqu’à la main qui les nourrit, (d’où le credo du personnage principal, « I make my own luck ») tout est clinquant, tout est trompeur, et rien n’est véritablement stable. Bien entendu, la femme fatale synthétisera admirablement tous ces enjeux.
Mais pour que toute cette mécanique fonctionne, encore faut-il proposer un recul plus subtil que la comédie jouée par les personnages. C’est là la faiblesse de Gilda. La façon dont le film se prosterne devant Rita Hayworth – procédé qui semble légitime, tant son glamour irradie chaque espace qu’elle occupe – empêche de dépasser la simple promotion de son charme. Ainsi de ses scènes chantées, sortes de clips qui rejoignent instantanément la geste hollywoodienne et son âge d’or du glamour sur papier glacé. Le regard de Glen Ford nous montre que la femme est fatale, et leur liaison à répétition (séparation, réconciliations magnétiques…) reste figée dans des motifs qui peinent beaucoup à convaincre. La colère est feinte, la passion affichée, mais par des pantins qui semblent exécuter une danse dont ils ne comprennent pas vraiment la chorégraphie.
L’intrigue s’embourbe alors dans des développements assez laborieux, qui achèvent l’artificialité de toute cette entreprise.
Certes, Gilda fait partie de l’histoire, et l’on retiendra la façon dont une actrice parvint à électriser les foules en devenant une star instantanée. Mais pour ce qui est du cinéma, le film fait aujourd’hui figure de prétexte. On ne lui en voudra pas, dans la mesure où il a permis à un certain Orson Welles de découvrir une actrice avec qui il donnera au film noir ses lettres de noblesse dès l’année suivante dans La Dame de Shanghai.
(5.5/10)