Le mois de juillet touche à sa fin, mais semaine après semaine, il s’installe une bonne sensation d’avoir échappé à l’habituel désert estival. Cette fois-ci, c’est Give me Liberty, le deuxième film de Kirill Mikhanovsky, qui nous a enchanté, petits défauts y compris.
Give me Liberty est un film qui ne laisse aucun répit, frénétique de bout en bout, à l’inverse de son stoïque protagoniste Vic (Chris Galust, lumineux débutant), au volant de son minibus. Il résume sur 110 minutes 24 heures de la vie d’un jeune homme charmant, serviable, foncièrement bon et aimable. Vic est une sorte d’ambulancier, chargé de transporter dans un van personnalisé mais fatigué, des personnes atteintes de handicaps multiples et variés. Les occupations de ces dernières sont à l’avenant. Quand certains vont à un entretien pour un job, l’interviewé aussi cabossé que son coach, un autre va à un concours de chant, tandis qu’un autre encore vitupère dans le vide et sans jamais s’arrêter pendant que Vic l’aide à vêtir son corps déformé par une obésité plus que morbide. Ces acteurs sont des non-professionnels, et la vérité qui se dégage d’eux, mais surtout le respect qui se dégage du regard du cinéaste suffiraient à remplir le panier d’émotions du film. Lui-même un Russe venu s’installer aux USA, à Milwaukee dans le Wisconsin comme son personnage, Kirill Mikhanovsky a exercé ce métier d’ambulancier au service de personnes handicapées avant de devenir cinéaste, et son regard bienveillant transperce le film.
Vic est fils et petit-fils d’immigrés russes, et sur la route de sa tournée, il fait un détour au détriment de ses clients, pour vérifier que son grand-père, un peu sénile, est prêt comme prévu pour l’enterrement d’une des leurs. Le film s’intéressera pour une large partie à une communauté de Russes vivant tous dans cet immeuble, dans une partie de la ville plutôt défavorisée. Ces immigrés d’un certain âge, qui ne se sont pas moulés entièrement à l’Amérique, feront l’objet de scènes truculentes dans le minibus de travail qu’une fois de plus Vic détourne de son trajet professionnel pour rendre service à son grand-père et ses amis russophones en les emmenant au fameux enterrement. Le film prend alors l’allure d’un documentaire émaillé de chants folkloriques et de bavardages incessants d’où émergent même des considérations pas vraiment méchantes mais tout de même teintées de racisme lorsque Tracy (formidable Lauren « Lolo » Spencer) , une Afro-Américaine atteinte de la maladie de Charcot (et une militante de cette cause dans la vraie vie) monte dans le bus. C’est cacophonique, mais comme dit un des personnages du film « c’est la vie, it is what it is »
Vic appuie fort sur l’accélérateur, il est en retard partout à force de services rendus, et la force du film réside dans l’agencement de cette agitation, voire de ce vacarme, entre son patron qui ne cesse d’appeler pour savoir où il est, les Russes qui parlent , qui chantent , qui crient, la jeune handicapée mentale fan d’Elvis qui se prépare à tue-tête à son concours, et Tracy qui hurle à l’arrière du minibus, consternée par le retard qui s’accumule et les entretiens de son poulain qui deviennent inaccessibles les uns après les autres. C’est étourdissant parfois, et le cinéaste et sa coscénariste Alice Austen n’ont pas été avares de situations burlesques, mais in fine, l’énergie qui en émerge, qui n’est pas sans rappeler celle de Tangerine, l’excellent film de Sean Baker, est véritablement positive, communicative et joyeuse.
Rien n’est laissé au hasard dans le film de Kirill Mikhanovsky. Chaque moment de Give me Liberty est comme une pierre à l’édification d’un feel good movie, très émouvant et drôle en même temps, mais qui n’a pas oublié de mettre en avant des réalités sociales dures que peu de cinéastes sont enclins à montrer à l’écran, celle des personnes différentes, celle des communautés de migrants, et Milwaukee est une terre américaine de migration par excellence; celles des quartiers pauvres, de la violence policière et de tout ce qui fait aussi de l’Amérique ce qu’elle est. Give me Liberty est un bon film, un beau film qui n’hésite pas à expérimenter (incursion du noir et blanc, habileté de montage, etc.), porteur d’espoir en ces temps quelquefois troubles. Une belle comédie exotique d’une nuit d’été.
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