On n'a pas fait beaucoup de chemin depuis les années 50

Les péplums des années 50 étaient beaucoup critiqués pour leur kitcherie, leurs anachronismes, leur guimauve... Avec un film historique plus récent, on pourrait penser qu'il ne tombe pas dans les travers de ses aînés. Hélas...

Gladiator rajoute une couche de diabolisation sur un empereur traditionnellement peu aimé, et en fait des tonnes. Commode tue son père de ses mains, Commode veut coucher avec sa soeur... Sa politique (abrutir Rome avec des jeux pour avoir les mains libres, etc) disparaît sous ce fatras de psychologie à deux balles. La seule chose appréciable, c'est qu'on nous montre les affects de Commode, au lieu de nous le présenter juste comme un psychopathe qui déteste tout le monde. Mais il aurait été plus intéressant d'essayer de nuancer le portrait de cet empereur si décrié ; les sources antiques ne sont pas connues pour être objectives.

Ensuite, l'intrigue... Que Marc Aurèle souhaite qu'un de ses généraux lui succède, ça pouvait tenir la route, et une conjuration impliquant la soeur de Commode a vraiment existé. Mais le projet de restaurer la république, non ! À l'époque, cela fait deux cent ans qu'elle a disparu et tout le monde est convaincu que c'est un système obsolète, incapable de gouverner le vaste empire romain. En 180 après Jésus-Christ, parler de restaurer la république romaine, c'était comme de parler de restaurer la monarchie française aujourd'hui.

De surcroît, on parle de la république romaine comme si elle donnait le pouvoir à la plèbe et le sénat est présenté comme l'expression de la volonté du peuple. Des clous ! Les sénateurs n'ont jamais été élus et la république romaine a été dès son instauration tenue par l'oligarchie ! D'ailleurs, je ferais remarquer que ce sont les populares (ceux du parti de la plèbe), comme César, qui ont fini par instaurer l'empire, alors que les optimates (ceux du parti aristocratique), comme Cicéron, désirait conserver la république.

Enfin, ce film s'appelle Gladiator, mais a visiblement été fait par des gens qui ne connaissent rien au monde des gladiateurs. Scott essaie de nous faire croire que ce sont de vrais massacres qu'on organise dans le Colisée. Or, dans les duels de gladiateurs, on estime le taux de mise à mort à...10%. C'est d'ailleurs beaucoup plus logique : l'organisateur des jeux, qui décidait de la mise à mort (car un esclave a interdiction, sous peine de mort, de prendre l'initiative de tuer quelqu'un) devait rembourser le propriétaire du gladiateur mort, or un gladiateur coûtait très cher, du fait de sa formation.

De plus, les spectateurs ne venaient pas voir des mecs en égorger d'autres ; ils venaient voir du sport, des beaux combats. Il ne faut pas confondre les combats de gladiateurs, qui sont en grande partie du show, avec les exécutions des criminels. En fait, pour un esclave, gladiateur était une condition plutôt enviable : on était formé, entretenu, soigné, il y avait la possibilité de faire une bonne carrière, puis d'être affranchi et de s'établir.

Un des moments les plus ridicules de ce film, c'est que le propriétaire envoie un scribe qui parle sept langues se faire massacrer dans l'arène... Un esclave qui parle SEPT langues, ça vaut extrêmement cher !

Ce film a une vision horriblement caricaturale et niaise de ce dont il traite. Sur le plan moral/ intellectuel, il se contente de plaquer des valeurs modernes sur un contexte historique qui n'a rien à voir, sans susciter aucune réflexion, ni sur l'esclavage, ni sur le pouvoir, ni sur le divertissement, ni sur la fascination de la violence ! Sur le plan de la reconstitution, le réalisateur ne se dépêtre pas des fantasmes sur la décadence de Rome.

Bref, deux heures et demie de divertissement plutôt sanguinolant, mais rien de plus.