Glass, c'est le retour vers l'enfance comme forme de sagesse et de puissance, c'est la victoire symbolique de l'extra-ordinaire (ce qui par principe échappe à la raison) sur le scepticisme.
Ce parti pris est d'autant plus intéressant que le postulat de la trilogie Unbreakable-Split-Glass était d'aborder le mythe du super-héros sous le prisme du réalisme; créer des personnages de fantaisie en collant le plus près possible au "crédible", flouer les limites entre réalité et fiction, imaginer que l'univers bariolé des bandes-dessinées pouvait simplement être une représentation hyperbolique du réel monochrome.


On sent que M. Night Shyamalan s'amuse dans ce dernier volet, qu'il est comme un enfant avec ses jouets. Pas question de tergiverser ni de se perdre en salamalecs: dès le début du film, il enferme ses trois super-héros dans un même espace clôt (un asile), raccourci scénaristique improbable qui prend le spectateur à contre-pied et va lui permettre de saisir à-bras-le-corps la problématique qui l'intéresse.
D'un côté il y a le Dr. Ellie Staple, placide et rationnelle, qui représente la voix de la raison; de l'autre, les trois mythes qu'elle s'applique à déconstruire en les renvoyant au réel (cf Buffy S6E17): déso les gars vous êtes pas des super-héros, juste des fous, #sorrynotsorry, bonne continuation.
Et bien sûr le seul qui n'est jamais ébranlé par ces propos pleins de bon sens, c'est Elijah Price (alias Mr Glass), iconisé à l'extrême; il ne pipe pas mot pendant toute la première partie du film, et quand il parle finalement, c'est pour bien nous faire comprendre qui est le patron. A partir de là, c'est tout le rythme du film qui s’accélère, on monte jusqu'au climax dans un crescendo typiquement shyamalanien; mise en abyme de son travail de réalisateur, le combat final est orchestré par Mr Glass qui parvient à opposer les super-héros qu'il a créés, au nez et à la barbe de la raison impuissante (Dr Staple) et devant les yeux de 3 spectateurs symboliquement choisis (la mère, la compagne, le fils). Le combat véritable se passe en fait en coulisses: c'est celui du fantaisiste contre les réalistes, celui de Mr Glass contre la société secrète du Dr Staple; et si les 3 super-héros succombent sous les coups de ces "tueurs d'illusions", cela n'empêchera pas la vérité d'éclater au grand jour: l'extra-ordinaire existe, il est là, tout autour, mais nous est dissimulé par les sceptiques.


Selon Shyamalan, le vrai leurre serait ainsi de refuser au monde sa part de magie, de rêve; jolie morale mise en valeur par le dialogue entre Mr Glass et la personnalité enfantine de la Horde: pour Elijah, voir éternellement le monde comme si on avait 9 ans, c'est voir le monde tel qu'il est.
Cette conclusion est encore plus logique quand on la met en parallèle avec Unbreakable, dans lequel le fils de David Dunn était le premier à croire à son destin surhumain (ce qui avait donné lieu à la très belle scène où David chuchotait à son fils "You were right" devant la table de la cuisine); à la fin de Glass, c'est le monde entier qui est invité à regarder le monde avec les yeux de l'enfance, des yeux qui s'affranchissent de tout nihilisme.
Ne jamais perdre sa capacité d'émerveillement, donc, ou comme disait Nietzsche: "la maturité de l'homme, cela veut dire retrouver le sérieux que l'on avait au jeu étant enfant". Il faut d'abord y croire pour le faire; redevenir enfant pour devenir surhomme.

Marraine
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le 25 janv. 2019

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