Après le braquage historique de la plate-forme Netflix pour acquérir les droits des suites d’À couteaux tirés (450 millions sur la table pour deux suites, sachant que le budget du premier volet ne dépassait pas les 40 millions, mais en avait rapporté plus de 300 au box-office), voici donc le retour de Benoit Blanc, plan retraite assez pépère de l’ancien James Bond, se recyclant dans des whodunit old school.
Le principe est donc le même : l’intégralité du casting change, et ne reste que le détective (considéré sur Google, très fréquemment placé dans le film, comme « le meilleur détective du monde ») propulsé dans un nouveau lieu pour résoudre une ténébreuse affaire.
Le charme du précédent volet est à nouveau au rendez-vous, particulièrement dans toute la première partie, qui consiste à présenter chaque protagoniste/futur suspect, et qui vire ici à la satire sur les élites « disruptives » américaines dans un rapport de dépendance à un multimilliardaire, ersatz de l’inénarrable Musk. Les comédiens s’éclatent, (notamment sur un savoureux caméo surprise) et après une exposition plantureuse où des cubes à énigmes dévoilent, dans des split-screens modulables, l’invitation à la suite des événements, la partie peut réellement commencer. Rian Johnson est clairement à l’aise dans le registre, et joue sur plusieurs tableaux, en travaillant notamment ses arrière-plans pour y loger des gags visuels (dans la fête sous COVID au départ, ou le passage des robots domestiques dans la villa), et explorer toutes les couches de l’obscénité kitch des ultra-riches, jusqu’à ce running gag du gong composé par Philip Glass.
L’élément plastique est ainsi au centre des enjeux : dans ce décor saturé et ostentatoire de l’opulence, le ridicule côtoie certains éléments presque dystopiques, qui renvoient autant aux fantasmes enfantins des Indestructibles qu’au malaise du Prisonnier. L’ambiguïté reste néanmoins assez prégnante, dans la mesure où l’on est bien conscients d’assister à un genre généralement modeste à qui on aurait donné tous les atours du blockbusters, avec la volonté d’en mettre plein la vue.
La mise en place de l’intrigue, sur toute la première heure, alterne avec efficacité la comédie (superbe résolution surprise de la première énigme par Blanc) et le policier, jusqu’à un twist et une série de flash-backs sur plusieurs niveaux occasionnant une relecture et tout un effet Rashōmon particulièrement bien géré, et dans lequel Janelle Monáe révèle toute sa palette de comédienne. L’un des sommets de l’intrigue implique ainsi une extinction des feux et un éclairage balayé par le phare voisin qui permet de très belles séquences dans les espaces de la villa, dans une sorte de cache-cache fatal du plus bel effet.
Reste que cet apogée se situe à la moitié du récit, et qu’il s’agit de poursuivre les investigations. Bien conscient de devoir nourrir une gradation, Johnson s’en remet, sur la dernière partie, à une résolution assez frustrante, qui troque le raffinement de l’écriture et des caractères contre les effets bourrins de la grosse machine. L’intrigue, très touffue, parvient effectivement à rendre une copie propre (à quelques facilités prés, notamment sur la capacité à taire la nouvelle de la mort d’une célébrité), mais semble, dans sa volonté de créer une dernière impasse, céder le pas à l’action plutôt qu’à la malice, dans un final « punk rock », selon le mot d’un des participants, qui exhibe davantage le budget que l’intelligence posée du détective.