Entre plaisir et désir
Œuvre oscillant entre le très bon et la possible arnaque, où Robbe-Grillet s'amuse à offrir un cinéma déroutant, totalement fou. Témoignant d'une démarche artistique ô combien originale, le...
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le 10 sept. 2015
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Trollisme flagrant et grandes ambitions, déconstruction et symbolisme à foison (les œufs, la peinture rouge, etc) : au cœur de tout ça, des femmes dévêtues et objectivées dans l'harmonie vicelarde et les éclats de sang. Avec Glissements progressifs du plaisir, Robbe Grillet désinhibe totalement son cinéma. Le spectateur atterrit dans un ego-trip rafistolé autour d'une histoire de nymphette au couvent (Anicée Alvina) et centré sur les passions sado-maso de l'ensemble des intervenants. L'Immortelle frappait par sa radicalité, Trans Europ Express interpellait audacieusement ; Glissements tourne à l'extase et à la parodie. Le chef de file du Nouveau Roman s'affranchit totalement des conventions, s'en amuse au passage, étale plus que jamais sa fierté.
Constamment une petite musique colore les excentricités de proclamations muettes mais flagrantes telles que ''je suis plus fort et je mène la partie'' ou encore ''je me joue de vous''. Cette volonté polluait un peu Trans Europ, l'enfonçant dans un glacis chic mais sec à tous niveaux (le 4e mur y était déjà brisé dans les faits – ici il le sera par les mots). Ce n'est plus le cas dans Glissements car Robbe Grillet est très avancé dans l'autarcie, ce qui le rend d'autant plus sadien. Le film semble sommé de s'auto-détruire, ce qui souille l'exercice du spectateur, dont l'aigreur à l'égard des pitreries en guise de programme se défend sans doute plus aisément que les intentions de Grillet.
Héros superbe (mais entravé) de Trans Europ et ex-Homme qui ment, Trintignant est avilit, fagocité dans un costume ridicule. Sa moustache, ses petits soubresauts, son air inquisiteur débile, son allure de fouine piteusement endimanchée accablent le personnage du policier. La plupart des autres dans l'équipe sont manifestement assignés à un jeu aberrant : tout ce qui ne cède pas au sado-masochisme, ou n'a pas encore cédé, est désintégré, enfermé dans un semblant de fonctionnalité abrutie. Les autorités (exécutives, traditionnelles) sont humiliées ou court-circuitées de façon mesquine.
Robbe Grillet porte ses coups les plus violents contre la religion, insulte ce qui est assimilé à de l'hypocrisie, mais finalement il passe au-dessus de cette opposition pour en jouir. C'est le propre du masochiste de s'associer à ce qu'il perçoit comme une brute et absorber son énergie imbécile mais colossale. Ainsi une antichambre de maison de Dieu remplace le château du Marquis. Concrètement, cela ouvre la porte à de nombreuses séquences SM ou à la sensualité 'déviante', en musique. Chez Robbe Grillet, le libertin fantaisiste et raffiné l'emporte sur le gauchiste. En arts comme ailleurs, c'est mieux. Dans son cas en particulier c'est plus enrichissant.
Car c'est bien dans toutes ces belles scènes de pauses/poses, où il prend le parti de la domination tout en s'avachissant paradoxalement, qu'il est le plus éblouissant. La régression dans les méthodes est nettement plus dommageable ; les postures révolutionnaires sont falotes, la façon de viser trop puérile pour ça et encore sapée par cette arrogance précipitée. Robbe Grillet accumule les 'fautes' délibérément, pour faire onirique ; il casse activement la narration, trompe toute promesse de cohérence. Les acteurs imitent ouvertement leurs personnages, ou plutôt leurs lignes de personnages, s'égarent dans de fausses discussions interminables.
Ce fatras produit des effets plutôt négatifs, inspirant la circonspection (atténuée peut-être par la surprise) quand il n'arrive pas à faire rire – et il l'obtient par des moyens contradictoires. Souvent ces Glissements donnent dans la caricature du surréalisme par le film d'arts et essai masturbatoire ; une caricature non-prévisible. Elle trouve le salut grâce à ses humeurs, via le triomphe du jeu et du vagabondage sur toutes espèces de démonstration. Londasle est chargé d'incarner la portion foutage de gueule de toute cette performance ; il encadre la scène des 'mots' (à la fin), possible parodie de l'écriture automatique, avec ses associations au rabais et son culte de l'inspiration, puis le ton précieux en dissonance. La Belle captive sera un tableau plus franc, tellement résolu qu'il donnera une impression de clarté et de pleine conscience, si irrationnelle soit sa constitution.
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le 9 mars 2016
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