Goal of the Dead par Gilles Da Costa
Dans un paysage cinématographique français où le fantastique est aussi bien représenté que la communauté tchétchène au sein de la Douma, Goal of The Dead fait figure de résistant face à l'oppresseur. Interviewé par Julia Lagrée et John Plissken en Juin 2013, l'acteur principal du film Alban Lenoir nous avait déjà parlé de ce projet ambitieux, double programme façon “Grindhouse” à la française divisé en deux films de 70 minutes chacun racontant une seule et même histoire. Une entreprise osée, adoptant qui plus est un modèle de distribution original car projetée dans une seule salle parisienne - Les 3 Luxembourg dans le 6ème arrondissement - avant de partir en tournée aux quatre coins de la France pour y trouver son public. Espérons donc que, malgré quelques défauts principalement inhérents à la structure en diptyque du projet, ce film cohérent, souvent drôle et extrêmement bien conçu rencontre le succès qu’il mérite aussi bien durant son Zombie Tour Goal of The Dead que lors de sa sortie en DVD, Blu-Ray, VOD en Juin.
L'Olympique de Paris se dirige vers la petite ville de Capelongue pour disputer un match amical sans importance. Véritable corvée pour la plupart des joueurs plus préoccupés par leurs egos que par leur sport, cette rencontre symbolise un retour aux sources pour Sam Lorit, ancienne gloire en fin de carrière et enfant du pays. Mais ce match sans enjeux ni relief prend une tout autre tournure lorsqu'une flambée épidémique d’infections se repend dans le village, transformant ses habitants en enragés ultraviolents.
Goal of the Dead est véritablement un film référencé. Dés les première images de ce bus avançant en rase campagne sur fond de musique électronique minimaliste qu’on dirait composée par le duo John Carpenter/Alan Howarth, nous sommes en terrain connu. Ainsi, les clins d’œil seront nombreux durant tout le film, mais tous remarquablement digérés et réinterprétés. C’est d’ailleurs une des grandes forces de cette comédie horrifique signée Benjamin Rocher et Thierry Poiraud. Les hommages sont visibles, évidents, mais le film reste un objet unique fuyant la citation et la redite pour créer une expérience composite possédant sa propre identité.
De leurs inspirations, les deux metteurs en scène ne conservent qu’un respect des codes du genre, une déférence envers leurs aînés, ce qui, en soi, est une posture honorable. C’est peut-être en cela d’ailleurs que Goal of the Dead peut être comparé à des comédies horrifiques récentes tels Shaun of the Dead, Attack the Block ou Tucker and Dale vs. Evil. En effet, comme ces films, il n’hésite pas à exploiter des sous-genres bien balisés - ici le survival, le film de siège et le film de zombies - et à se les réapproprier pour en proposer une relecture moderne et fraîche.
Ce qui impressionne aussi ici, c’est l’assurance de la mise en scène et la remarquable facture globale du film. Car, bien que réalisé à quatre mains, Goal of the Dead conserve une grande cohérence esthétique d’une partie à l’autre, sans doute aidé par le très beau travail du chef opérateur Mathias Boucard, semblant émuler avec brio, dans la seconde partie nocturne du film, la cinématographie d’un Dean Cundey ou d’un Jordan Cronenweth. De manière générale, ce double programme présente une direction artistique extrêmement solide du début à la fin et s’impose véritablement comme un “film de cinéma” proposant une vision forte et extrêmement travaillée. Sans jamais trahir son budget limité, Goal of the Dead enchaîne ainsi les tours de force visuels, les moments iconiques et surprend par son approche sophistiquée jusqu’à la dernière image. Du très bon travail justifiant à lui seul le fait de voir ce film en salle.
Au-delà de cette réussite technique indéniable, le film s’appuie un scénario bien pensé, malheureusement desservi par ce découpage imposé en deux parties. Ainsi, la première partie est une exposition trop longue, presque étirée, ne parvenant pas à réellement faire monter la tension avant le rebondissement final marquant la transition avec un deuxième film/climax tout à fait jouissif. Dénuée de nœuds dramatiques clairs engageant le spectateur, cette “première mi-temps” est de surcroît plombée par une caractérisation caricaturale aussi bien côté footballeurs que provinciaux. Dans ce long prologue, la construction des personnages est d’ailleurs si schématique et leur attitude si prévisible qu’on parvient parfois à anticiper leurs répliques avant même qu’ils n'ouvrent la bouche. Ce qui donne parfois la désagréable impression de voir évoluer des clichés sur pattes.
C’est d’autant plus regrettable et frustrant que bon nombre d’entre eux "prennent vie" durant la seconde partie du film. En effet, dans ce contexte plus agité et chaotique, les personnages deviennent paradoxalement crédibles et humains, prennent de l’épaisseur, comme si leurs véritables personnalités se révélaient dans l’adversité. C’est alors que le film devient véritablement drôle et que la plupart des gags aussi bien visuels que verbaux font mouche. Comme si, en fuyant un humour d’observation au trait grossier pour aller vers le burlesque et la comédie de situation, Goal of The Dead trouvait véritablement sa voix et remportait l’adhésion d’un public audiblement plus hilare durant la première partie que la seconde.
Et ce n’est que justice, car le scénario du film est finalement solide et bien structuré dans sa globalité, avec bon nombre d’intrigues secondaires bien gérées et un rythme soutenu malgré un démarrage laborieux et un format bâtard entre fiction télévisée de 52 minutes et durée de long-métrage traditionnel.
Mais le gros point fort de Goal of the Dead est sans aucun doute sa distribution. Tous les acteurs semblent prendre du bon temps à joyeusement défourailler du zombie de l'infecté et leur enthousiasme est communicatif. Alban Lenoir, avec le charisme et le timing comique qu’on lui connaît, confirme qu’il a largement les épaules - au propre comme au figuré, le monsieur est une bestiasse - pour occuper le poste de “leading man” et se montre toujours très juste et parfaitement dans le ton quelles que soient les scènes. Face à lui, Charlie Bruneau, dans le premier rôle féminin, assure du début à la fin et compose une journaliste à qui on ne la fait pas avec beaucoup de force et de conviction. Jouant sur un humour à froid très efficace, elle parvient à vendre la plupart des vannes et crée un personnage attachant.
On n’oubliera pas non plus de mentionner le travail très appréciable du jeune Ahmed Sylla, qui dans la deuxième partie du diptyque entraîne son personnage de footballeur trépané vers le terrain de l’hystérie aiguë avec beaucoup de talent. Enfin, impossible de ne pas rendre hommage à la composition de Benoît Moret, toute en mesure et en détachement. Doué d’une “vis comica” impressionnante et d’un timing précis, ce jeune acteur incarne parfaitement un personnage de relou lunaire qui mériterait largement d’être le héros d’une suite potentielle. Excellent.
Goal of the Dead est donc une vraie réussite malgré quelques problèmes ici et là. Un film si généreux, si ambitieux et malin qu’on oubliera vite ces écueils pour ne garder en tête que le souvenir d’une comédie horrifique maîtrisée, cherchant à plaire au grand public sans compromettre son amour du genre. On saluera également la prouesse du tournage de deux films avec deux équipes différentes dans le même laps de temps. Une ambition louable, exprimant sans doute l’envie de fuir l’apathie généralisée d’un cinéma français vissé dans ses charentaises pour proposer des modèles de production et de distribution différents afin de rompre avec le statu quo. Espérons sincèrement que l'expérience rencontre le succès qu’elle mérite, et que ce film soit le premier d’une longue lignée de productions d’une qualité comparable.
Goal of the Dead sera projeté à Paris au cinéma les 3 Luxembourg ce soir à 20 h 30 et jeudi 20 mars, en présence de l’équipe du film, avant de partir en tournée dès le mois d’avril pour un Zombie Tour Goal of the Dead.