La franchise de films à la plus grande longévité selon Guinness des Records, rien que ça. Que ce soit par la tétrachiée d'œuvres nippones dont la résurgence qualitative récente (Shin Godzilla et Minus One) met du baume au cœur, ou l’amoncellement de daubes made in USA, il est impossible de ne pas connaître ce monstre emblématique. Un pilier du septième art dont l'œuvre matricielle est étrangement introuvable au format physique ou sur les plateformes. Mais qu’importe, j’ai bravé les interdits une fois de plus pour revenir aux origines de la bête. Et quelles origines!
Le contexte d’après-guerre est primordial à saisir pour appréhender l’ampleur symbolique de Gojira. Car le monstre est l’évidente analogie de la bombe H que l’on sait, semant dans son sillage un anéantissement total, sans distinction d’âge ou de classe, qui se pose en miroir de la destruction apportée par les américains. Ishirô Honda, vétéran de la guerre, était au moins aussi bien placé que le public japonais de l’époque pour mesurer les répercussions de l’ère atomique, et saisir le caractère intrinsèquement menaçant du monstre surgit des profondeurs l'inconscient collectif. Godzilla, un enfant de l’atome aussi fatalement inatteignable que son géniteur. Alors le cinéaste parsème son film de références directes. De cette première scène référençant l’histoire du Daigo Fukuryū Maru, un thonier japonais irradié par un essai américain dans l’atoll de Bikini qui devint fer de lance du mouvement anti-nucléaire, jusqu’à ces enfants irradiés dans les hôpitaux. Et dans cette psychose généralisée, il faudra des journalistes stoïques face à la mort imminente pour que le message passe, que l’ombre de la bête soit conscientisée, contrecarrant la rétention d’informations d’un gouvernement tout aussi dangereux que la créature.
Une créature dont Honda ménage l’apparition, dans un premier acte d’exposition efficace et limpide, alignant sans gras les premières réalisations de la menace par le peuple de l’archipel. Et si j’avais en tête des images de messieurs en costumes grossiers, celles-ci ne provenaient pas de ce film-là. Ici, les effets fonctionnent, beaucoup moins désuets que dans mes appréhensions. Ils sont employés à bon escient et montrent juste ce qu’il faut, avec la bonne lumière, les bons cuts, les bons angles, pour rendre Godzilla crédible. Le travail de maquettes conjugué au jeu des contre-plongées se mettent au service du gigantisme, tandis que la bande-son de Akira Ifukube parachève la tension, iconisant instantanément cette force incommensurable, ce kaiju primordial.
L'œuvre se perd quelque peu en route, par un jeu d’acteur pas toujours convainquant, et des parenthèses pseudo-scientifiques et émotionnelles inefficaces qui outrepassent le temps que l’on veut bien leur accorder. Mais elle se rachète par le questionnement inhérent à la mentalité japonaise de l’époque, celle d’une capitulation par peur que la défense n’engendre bien pire. Le film s’achève ainsi dans un final sans climax, doucement, laissant la science et le désarmement triompher. Signe que Honda a bien compris que, à l’instar de son scientifique borgne, Godzilla n’est pas l’ennemi aux yeux du public. Il est victime de la folie humaine, sa conséquence et son châtiment.
Godzilla porte bien les sept décennies qui le sépare de sa conception. Il reste un pan fondamental dans le paysage filmique, et dans la culture populaire. Une œuvre séminale sans laquelle on n’aurait pas eu Jurassic Park, imaginez ! Et son message perdure dans la pensée nippone, en atteste les thématiques savamment traitées dans des morceaux tels que Attack on Titans. Vais-je tenter une rétrospective complète de la filmographie japonaise du plus connu des lézards? Un exercice qui semble sur le papier aussi masochiste (33 films aux qualités variables) que passionnant.