Monstres & Cie
J'ai jamais pu encadrer les monstres. Vraiment pas mon truc. Ça sert vraiment à rien un monstre quand on y pense, juste à vous foutre un chambard pas possible et à déféquer dans tous les coins de...
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le 20 juin 2014
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C’était un piège, une chausse-trappe. En même temps, on ne pouvait pas faire autrement. Autrement que d’y aller, ne pas résister, se laisser porter. Et subir. Parce qu’ils sont malins, les gars du marketing. Ils sont malins et vicieux. Ils se sont dit que pour être sûr d’attirer le monde entier à venir voir cette nouvelle version de Godzilla, on va la jouer é-clec-ti-que. Ça donne donc du Bryan Cranston post-Breaking bad pour appâter la moitié de la Terre en dépression depuis l’arrêt de la série culte, de la Juliette Binoche pour émoustiller l’intello de base ne jurant que par Kieslowski ou Haneke, et de la chair fraîche (Aaron Taylor-Johnson, Elizabeth Olsen…) pour allécher cette jeunesse qui trouve les merdes de Marvel complètement contestataires.
Le tout emballé par la musique prout prout camembert d’Alexandre Desplat, le frenchy à la mode que tout le monde s’arrache, d’Anderson à Bigelow en passant par Malick. Mais pour quel résultat, quelle audace et quel brio ? Pour rien. Pour une croûte monumentale compilant le pire de Pacific rim et de World invasion: Battle Los Angeles. On dit souvent que, pour apprécier un film bas du front à tendance lourde, il faut "débrancher son cerveau". Ici en fait on ne le débranche pas, ici on nous l’arrache lentement, neurone après neurone, quand il ne reste à la fin que le rire pour palier à ça. Le rire jaune, moqueur et méprisant. Le rire défouloir..
Le rire pour supporter cette horreur pendant plus de deux heures qui, en plus de massacrer allègrement cet emblème majeur de la culture japonaise, accumule incohérences, clichés, inepties, consensus mou, moralité crasse et bons sentiments infects. Le summum du ridicule est d'ailleurs atteint quand Godzilla et Ford, brave soldat américain fort et musclé et courageux et beau, se regardent droit dans les yeux avec intensité et à cet instant-là, on se dit qu’ils vont soit se rouler une pelle, soit se faire un high five.
Ne parlons pas non plus de cette bombe atomique, plus puissante que celles d’Hiroshima et de Nagasaki réunies (sic), trimballée à ciel ouvert sur une vieille locomotive qui doit passer sur un vieux pont en bois en pleine nuit avec un MUTO qui se balade dans le coin, ni de cette même bombe qui explose à seulement quelques kilomètres des côtes sans AU-CU-NE conséquence directe (bombe qu’il a fallu, en 27 minutes chrono, transportée du centre ville en ruines où se tatanent des monstres géants à un bateau prêt à partir au large), ni de ces militaires caricaturaux qui n’ont toujours pas compris que les monstres se nourrissent de puissance nucléaire, mais veulent quand même leur envoyer une bombe H en travers de la tronche…
Ni de ces acteurs humiliés, avilis et réduits à des pantins inexpressifs. Ken Watanabe tire la même tronche pendant tout le film, entre gravité raide et raideur grave, Sally Hawkins n’est qu’un ectoplasme expurgé de tout son talent, et Taylor-Johnson n’est qu’un veau au regard de veau avec un charisme de veau… Heureusement que Cranston et Binoche trépassent vite fait bien fait, leur évitant de se compromettre davantage dans ce traquenard cinématographique où l’écho de nos bavures et folies nucléaires est sommairement ramené à un discours simpliste et fumeux.
OK, admettons : je ne suis qu’un vieux con de quarante piges ayant perdu innocence et âme d’enfant depuis longtemps, mais à un moment, faut quand même arrêter de penser que le spectateur n’est qu’un abruti qui bave sur son fauteuil. Pacific rim avait déjà refroidi mes ardeurs, clairement, et brisé aussi mes rêves de gamin biberonné à Goldorak et Spectreman, et ce Godzilla piteux a pris la relève du navet de del Toro, enterrant définitivement, sous les vestiges fumants de mon enfance, les fantasmes, plaisirs et envies de combattre des créatures apocalyptiques avec mes fulgoro-poings.
Quand ont résonné les psalmodies ensorcelantes de György Ligeti, indissociables du trip intergalactique de 2001, on aurait dit comme une profanation, une offense abyssale. Et quand j’ai lu trop de critiques trop enthousiastes qui soulignent pourtant les innombrables tares du film (quelques perles, au hasard : "son traitement profondément humain", ou encore "Elizabeth Olsen ravage l’écran avec un talent fou", mais aussi "blockbuster quasi-intimiste", "le film assume son côté bourrin tout en étant intelligent" et "le plaisir du titan destructeur est un plaisir viscéral, cathartique dirait le bon Aristote"), mon cœur a comme cessé de battre, et mes yeux de vouloir voir le monde.
Chacun peut donner son avis, vivre le film différemment, le défendre ou le conchier, blablabla, mais là ce n’est même plus crédible. On dirait qu’on les a payé pour écrire ces conneries, les gars, et parce qu’il est juste impossible de faire l’impasse sur l’indigence intellectuelle d’un tel cloaque à moins de bosser pour la Warner ou d’avoir cinq ans d’âge mental. Ah oui, l’argument béton enfin : c’est un film fait avec des yeux d’enfants (Spielberg en figure tutélaire, rabâchée sans relâche) qu’il faut regarder avec des yeux d’enfants (d’ailleurs les enfants, dans le film, sont un chantage constant à l’émotion). Des yeux d’enfants ouais, c’est ça, mais avec une gueule de vieux con.
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