Quand Pacifique rime... avec Atomique
Une grosse claque ! C'est la première chose qui transparaît quand on sort de la salle. Cette sensation d'avoir été happé dans ce gigantisme cataclysmique, brillamment maîtrisé au niveau des effets spéciaux, mais aussi - et c'est important - au niveau de la réalisation. Si le film n'est pas parfait en tout point - et nous y reviendrons, il se rapproche sensiblement de ce que l'on peut faire de mieux dans un blockbuster de cette envergure budgétaire, qui vise, en tout état de cause, le plus large public international. Aussi, disséquons ce monstre filmique point important par point important. J'avertis d'avance : il y aura très probablement des spoilers.
L'histoire. Oui parce que c'est quoi Godzilla ? Pour ceux et celles qui, tout comme moi, sont des néophytes du titan à écailles, et qui n'ont vu ni le premier film japonais des années 1950 (tristement kitsch aujourd'hui) ni le remake de Rolland Emmerich des années 1990, et qui découvrent la créature réellement en 2014, rien ne les choquera. Pour les autres, des changements ont été, de ce que j'ai compris, apporté. Donc, synopsis : les multiples activités nucléaires humaines de ce dernier siècle, et notamment les premiers essais des bombes A et H ont réveillé des entrailles de la terre des créatures pré-préhistoriques, c'est-à-dire qui vivaient avant même la vie (admettons, tant que l'univers reste logique en interne, n'allons pas jouer les prophètes du réalisme scientifique), quand la Terre était radioactive à sa surface. Parmi elles, des Parasites géants (un petit 80 mètres de haut au réveil) aux allures (très) vagues de papillons carnivores et leur prédateur naturel, le Godzilla, qui lui mesure dans les 200 mètres. Les Parasites attaquent les villes, attirés par les centrales nucléaires dont elles se nourrissent, et Godzilla les prend en chasse pour les tuer. Dis comme ça, ça peut sentir le nanar, j'en conviens, mais analysons plus en détail.
Le sens de ce film. Mettons de côté le pur divertissement "blockbusteresque". On l'a déjà dit plus haut, c'est une claque visuelle, on ne s'ennuie pas, rien à dire de plus. Mais tout film ou presque a un propos plus ou moins caché ou plus ou moins appuyé. Et ce Godzilla n'est pas vide de sens, n'est pas vain (tout comme ne l'était pas celui de 1950, qui certes a mal vieilli, mais était une métaphore de Hiroshima et de Nagasaki). Déjà, je parlais plus haut du réveil des créatures qui vivaient lorsque la Terre était stérile et radioactive par les activités atomiques humaines modernes. Le parallèle est lourd de sens : à force de jouer aux cons (veuillez m'excuser, j'ai pas trouvé d'autres expressions), l'Homme rend la Terre peu à peu aussi toxique qu'à ses premiers millions d'années, ou du moins est sur la "bonne voie" pour parvenir à ce résultat. Un message écologique, qui trouve un écho évident dans la très récente catastrophe de la centrale de Fukushima, la scène d'ouverture en étant grandement inspiré.
Pour une autre analyse, je vais devoir spoiler un peu. En effet, là où en 1950 Godzilla était l'allégorie des bombes qui ont traumatisé et traumatisent encore le Japon, ici en 2014 (et j'exclue volontairement le film d'Emmerich, qui visiblement est mauvais) Godzilla est plus l'allégorie de la nature, ou plutôt de la Nature, au sens quasi-divin de toute puissance. Puisque [spoiler] Godzilla est plus la solution au problème que le problème dans ce film, le message est : laissez la nature se réguler d'elle-même, elle le fait très bien, plutôt que de jouer aux "apprentis sorciers". Le personnage de Ken Watanabe tient d'ailleurs peu ou prou ce discours [fin du spoiler]. Un message écologiste, mais surtout naturaliste, qui est plutôt bienvenu (et qui est beaucoup plus subtile qu'un Avatar simplificateur et manichéen).
La réalisation. Le petit nouveau à Hollywood, Gareth Edwards, continue de marquer des points. Le film a de vrais moments classes, de toute beauté, poétiques (les parachutistes dans la tempête, le plongeon en piqué du parasite, la cité abandonnée de la zone en quarantaine...), et de vrais idées de réalisation. Notons en particulier la répétition du symbole rappelant les écailles de stégosaure de Godzilla, jusque dans les tracés du sismographe ou dans la silhouette de la centrale sur l'horizon (ou même le Golden Gate). Mais au-delà de ça, Gareth Edwards, réalisateur de l'indépendant "Monsters" qui avait été grandement salué, répète le procédé qui avait marqué dans son premier film : les monstres se dévoilent peu à peu, la caméra ayant fait le choix de n'avoir qu'un regard humain devant ces titans. C'est d'autant plus beau, et cela témoigne du respect de G. Edwards pour ses créatures en tout-numérique. Le film gagne en puissance grâce à cela. Le jeu de mot (foireux) du titre de cette critique n'est à ce titre ni anodin ni très juste: si on retrouve du Pacific Rim dans l'ampleur des dégâts et dans certains éléments de mise en scène, les deux œuvres sont différentes.
Les personnages et les acteurs. C'est là que le film perd malheureusement des points. Au niveau du jeu, rien à redire aux performances de Watanabe, de Bryan Cranston (ce mec peut-il seulement ne pas jouer juste ?) ou de Juliette Binoche (en même temps, sa présence tient presque du caméo). Le couple de héros, c'est autre chose. Aaron Taylor-Johnson et Elizabeth Olsen. Le duo que l'on retrouvera en tant que frères et sœurs dans Avengers Age of Ultron. C'était l'occasion de les tester. Si Olsen s'en sort plutôt bien, sans être incroyable, pour A. T-J c'est autre chose et son jeu est en dents de scie.
Ceci étant dit, leurs personnages ne leur rendent pas service. Le militaire dévoué et sa femme tout ce qu'il y a de plus aimante et de plus banale. Le bas blesse vraiment à ce niveau-là, tant ses personnages sont calibrés pour un blockbuster, et sont vus et revus. Walter Whit... euh pardon B. Cranston en héros central (ou encore Watanabe) aurait été plus intéressant à mon sens, et le film se serait vraiment démarqué pour le coup. L'intrigue amoureuse de ces deux jeunes Américains modèles et dévoués vers autrui (Olsen est infirmière) parait complètement creux et artificiels, tout comme en y repensant le passage avec le petit japonais. Pas besoin de cela pour rajouter de l'émotion quand des monstres gigantesques démolissent San Francisco ou Honolulu, sérieusement.
Bref, malgré ce dernier point dont on peut lui tenir rigueur, Godzilla version 2014 est vraiment un bon film, un très bon blockbuster et on a hâte de voir le troisième bébé de Mister G. Edwards.