L’entreprise était casse-gueule. En plus d’être inévitablement comparé à tous ces films de monstres et autres robots géants qui squattent nos petits et grands écrans depuis quelques années (Transformers, Pacific Rim, King Kong, Power Rangers, L’attaque de la moussaka géante…), le choix du réalisateur n’était pas forcément des plus rassurants, puisqu’il n’avait qu’un seul film à son actif (le mou du bulbe Monsters) et surtout il fallait faire oublier le Godzilla version Roland Emmerich, qui jouait sur l’humour et la pyrotechnie jusqu’à saturation. Comme une dernière chance, pour les américains, de réaliser une adaptation du monstre le plus connu du cinéma (30 films à sa gloire en 60 ans d’existence, quand même !) et de reconquérir ainsi les fans de la première heure.
Et pour ce faire, rien de tel que de reprendre les bases, les vraies, du tout premier Godzilla de 1954 : le nucléaire. Il est le déclencheur de tout le carnage à venir, et l’hommage rendu par Gareth Edwards est ici d’une sincérité poignante. Le film mise tout sur une ambiance sombre, oppressante, sans une once d’humour et sur la crainte de la menace imminente, prête à s’abattre sur l’Humanité telle une punition divine.
L’histoire met un petit moment à s’installer, et pourtant on est happé dès les premiers instants par une scène catastrophe presque intimiste, portée par l’excellent Bryan Cranston (le Walter "Say my name" White de Breaking Bad). Puis progressivement, l’enquête se termine pour laisser place à une tension maîtrisée à la perfection. L’apparition du monstre bouleverse tout, et plus rien n’est pareil. Les certitudes s’évaporent, les solutions manquent, la nature reprend ses droits. Et la fin du monde n’a jamais été aussi bluffante visuellement.
La réalisation de Gareth Edwards sublime absolument tous les plans de destruction massive. Des scènes parsemées d’étranges moments de lyrisme et de brutalité : les images sont tout bonnement impressionnantes. Que ce soit l’imposante apparition de Godzilla en contre-plongée (à couper le souffle !), la magnifique chute des parachutistes au coeur de la ville ou le cataclysmique affrontement final, nos yeux pleurent devant tant de beauté.
Cependant, un détail peut s’avérer très, très rédhibitoire pour certains : Godzilla n’est pas extrêmement présent à l’écran, et met même du temps à se montrer. Pourtant, l’intelligence du projet est justement là : créer le manque pour mieux nous exalter ensuite. Au début, on parle de lui comme de l’ennemi le plus terrible connu à ce jour, la matérialisation des pires cauchemars de l’Homme, naît grâce à l’arme la plus destructrice qu’Il possède. Par la suite, la créature se dévoile petit à petit : son dos, ses jambes, son ombre dans la poussière environnante… La tension monte, l’impatience se fait sentir, on joue avec nos nerfs. Et quand le premier plan dévoile enfin la créature entièrement, et qu’elle pousse son premier cri, les frissons parcours le corps. Effet réussi, totalement bluffant.
Mais là encore, son absence brille à nouveau, malgré quelques moments plutôt fort (l’attaque du Golden Gate Bridge). C’est parce qu’il y a une raison considérable à cela : la scène finale. L’intensité qu’on ressent durant la bataille apocalyptique de fin, où toute la puissance de Godzilla est déployée comme jamais, et qui nous prend clairement aux tripes, est dûe à la frustration de ne pas voir le monstre assez souvent. On l’attend de pied ferme, et quand tout se met à exploser, on ne peut que jubiler devant ce dernier acte transcendant.
Bien entendu, Godzilla n’est pas exempt de défauts, loin de là. La banalité du scénario (ça reste un film catastrophe), un héros toujours là où il faut pas, des seconds rôles transparents en sont quelques exemples, cependant on prend tellement son pied à voir la petitesse de l’humanité, même ayant une puissance de feu dévastatrice, impuissante face au gigantisme infini des créatures que l’on ne s’attarde pas trop sur ces passages désolants.
POUR LES FLEMMARDS : Une beauté plastique effarante, une ambiance sombre et un dernier acte transcendant, Godzilla est un bijou d’intensité maîtrisé à la perfection. Tous les monstres peuvent se rhabiller, le patron est là !